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Théâtre du Palais-Royal

Revue et gazette musicale de Paris – 10 mai 1868

Le Château à Toto,

Opéra-bouffe en trois actes, paroles de MM. Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Jacques OFFENBACH.

(Première représentation le 6 mai 1868.)

Voilà encore une fois deux de nos théâtres de genre livrés exclusivement aux joyeux refrains d’Offenbach . Si c’est un mal pour les membres de la Société des auteurs qui étaient naguère les fournisseurs brevetés de ces scènes, à qui s’en prendre ? Au public qui traite en enfant gâté le père d’Orphée aux Enfers et qui donne ses préférences aux œuvres marquées de son cachet. Ce n’est pas assurément une tâche médiocre pour cet heureux compositeur de justifier la foi qu’on a en lui et de se maintenir sans broncher au niveau de l’immense notoriété que ses opéras-bouffes lui ont conquise.

Le Château à Toto continuera-t-il cette série de succès à laquelle nous assistons depuis quelques années ? Nous n’en serions pas surpris, tant est grande l’attraction exercée par le nom d’Offenbach. Et cependant, il faut bien en convenir, ses collaborateurs ordinaires l’ont souvent mieux servi que dans cette circonstance. C’est peut-être un peu la faute de leur donnée, qui n’est pas franchement comique et qui laisse après elle une arrière-pensée quelque peu empreinte de mélancolie. Ce petit crevé qui, à peine âgé de vingt ans, a dépensé des sommes fabuleuses avec des filles de portier, comme il le dit lui-même, et qui se voit forcé de vendre le château de ses pères ; sa dernière maîtresse qui essaie de séduire un notaire pour se faire adjuger au plus bas prix le susdit château ; puis l’amour d’une petite fille qui le rachète en sous-main pour le rendre à Toto dont elle veut devenir la femme ; tout cela est-il donc d’une gaieté bien folle ? Nous supposons que MM. Meilhac et Halévy auront été séduits par l’idée de parodier à la fois les haines de famille des Capulet et des Montaigu, ainsi que la vente romanesque du château de la Dame blanche. A ce point de vue, leur but a été en partie rempli.

Ils ont inventé un baron de Crécy-Crécy qui est bien la plus amusante ganache qu’on puisse imaginer. Le récit du premier acte, dans lequel il raconte les démêlés des ses ancêtres avec les La Roche-Trompette, les nobles aïeux de Toto, est un chef-d’oeuvre de facétie fantaisiste. Du reste, ce rôle est joué par Gil-Pérez avec un vrai talent, non de farceur, mais de bon comédien. Il sera pour une grosse part dans la fortune de la pièce.

Après lui, que dire des autres personnages, qui concourent à l’action d’une manière plus ou moins directe ? Nous craindrions de nous égarer dans ce méli-mélo grotesque, où chacun change de physionomie à chaque acte, où le paysan Pitou, amoureux de la fermière Catherine, se transforme en général Bourgachard, où le notaire Massepain endosse la défroque d’un garde-champêtre, où le marquis de la Pépinière troque son costume de gandin contre la blouse de Pitou. Le troisième acte est tout entier dans ces travestissements, et encore allions-nous oublier le plus drôle, celui du baron de Crécy-Crécy en facteur rural, sonnant de la trompette pour annoncer son passage.

Ces cocasseries ont fourni à Offenbach le prétexte d’une foule de jolis motifs, comme toujours, gais et faciles et qui n’ont d’autre tort que de rappeler quelques-unes de ses meilleures inspirations, parce qu’ils sont forcément coulés dans le même moule. On a particulièrement applaudi, au premier acte, une charmante ronde à deux voix, des couplets chantés par Toto et un trio final ; — au second acte, l’air d’entrée du général Bourgachard (Brasseur), très-bien en scène, d’un rhythme franc et qu’on a bissé ; la bourrée qui termine cet acte n’a pas eu moins de succès. — Au troisième acte, les couplets de regrets et de retour sur son passé, dits avec un sentiment exquis par Zulma Bouffar sur le motif du solo de flûte de l’ouverture, ont été fort appréciés ; la chanson à moitié parlée du facteur rural, très-bien détaillée par Gil-Pérez, a été redemandée à grands cris.

Nous avons dit que Gil-Pérez était parfait. Brasseur, Hyacinthe, Lassouche ont, eux aussi, de bons moments, mais ils ne le valent pas et c’est en grande partie la faute de leur rôle. Mlle Zulma Bouffar, qui joue Toto, y est fort agréable et met au service de ce rôle une voix sympathique et une diction intelligente. Toutefois nous sommes d’avis que le personnage eût été mieux le fait d’un homme que le sien. Mile Paurelle n’ajoutera pas au succès ; Mlle Worms est une très-gentille demoiselle de Crécy-Crécy. Quant à Mlle Alphonsine, transfuge des Variétés, nous l’attendons à une autre création que celle de la fermière pour la juger dans son nouvel emploi.

D.

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