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Théâtres

Le Figaro – Jeudi 14 février 1856

Bouffes-Parisiens : Un postillon en gage. – Folies-Nouvelles : Le bras noir. – Cirque : La reine Margot. – Théatre-Lyrique : Un procès.

On a joué, samedi, le Postillon en gage, de MM. Jules Adenis et Offenbach. – Cette opérette a le mérite d’être invraisemblable l’exposition est longue et partant froide. Elle débute par un interminable monologue, dit par Anthiaume, or, il n’y a guère à Paris qu’Arnal et Ravel pour rendre un monologue d’une façon amusante, et encore je crois qu’ils échoueraient s’ils essayaient, comme Anthiaume, d’en chanter une partie. Le commencement a donc paru froid et languissant, mais, à partir de l’entrée de Léonce en bas bleu incompris, le public s’est déridé, et une fois en train de rire, il ne s’est plus arrêté.

Comptant probablement un peu trop sur le poëme, Offenbach a mis peu de musique dans cette bluette. Cependant l’ouverture est très soignée, et on a remarqué un fort joli trio : Vite la musique, et un charmant air à boire. C’est franc et original, c’est-à-dire que cela porte le double cachet qu’imprime toujours à ses compositions, le musicien
de Ba-ta-clan, du Violonneux et des Deux aveugles.

Deux débutants lançaient leurs premières notes dans cette petite pièce, Anthiaume et Davoust. Anthiaume a, dit-on, eu beaucoup de succès en province – nous le croyons facilement – il en a tous les défauts, ceux de la province et ceux qu’engendre le succès. Il ne doute pas assez de lui-même, je crois même qu’il n’en doute pas du tout ; malheureusement, il n’a pas autant de voix que d’assurance, et quelque peu étendu que soit son registre, il est encore troué
par l’absence de plusieurs notes ; – ce soir-là, à diverses reprises, M. Anthiaume a appelé son sol, vains efforts ! Ce sol réfractaire s’est dérobé sous lui, et il a fallu le pointer comme absent sans permission.

Il ne faudrait cependant pas juger M. Anthiaume en dernier ressort sur une seule création. Comme acteur, il ne manque pas d’une certaine verve ; il a beaucoup d’aisance, et d’entrain. Nous croyons que le rôle n’a pas été écrit pour lui. Nous attendrons une autre occasion pour le juger définitivement comme chanteur.

Mademoiselle Dalmont a du charme et de l’étendue dans la voix ; elle vocalise avec beaucoup de goût et d’agilité ; la décence de son jeu et l’honnêteté de sa physionomie en font une actrice et une chanteuse très sympathique ; mais l’émission de sa voix est défectueuse ; elle attaque avec hésitation et termine mollement ; elle ne se préoccupe pas assez de ce que devient la phrase musicale, et le public, forcé de s’en préoccuper pour elle, se paie quelquefois de ce soin en émettant des doutes sur la justesse de sa voix. – Nous sommes trop des amis de mademoiselle Dalmont pour ne pas lui signaler un défaut dont elle se corrigera si facilement quand elle le voudra.

Davoust, qui débutait avec Anthiaume, s’est bien tiré d’un rôle très effacé. Il était parfaitement grimé. – Quand il en aura plus long à dire ou à chanter, nous en aurons plus long à critiquer ou à approuver.

Je n’aime certes pas au théâtre, – à la ville pas davantage, – les hommes travestis en femmes ; cependant je dois confesser que Léonce, dans le rôle de bas-bleu dont je parlais à l’instant, a été charmant de comique, et, chose plus difficile à croire, de bon goût. A son entrée, le public entier l’a pris pour une femme. – Il était fort bien habillé, et n’a gâté par aucune charge une création si bien réussie. – A la fin, seulement, – c’était faire naufrage au port, il a risqué un mouvement de jambe un peu trop masculin. – Qu’il le supprime, et il sera parfait.

En résumé le Postillon en gages ne sera pas un repoussoir sur l’affiche rendue si attrayante par Ba-ta-clan et par Elodie : mais il serait peut-être temps de remiser la pantomime des Statues de l’Alcade qui nous semble avoir gagné, – très honorablement d’ailleurs, – ses droits à la retraite. Et la Kermesse donc ! un monsieur, bien plus, un éditeur nous disait hier : « je vais tous les soirs aux Bouffes ; mais que j’entre à 8 heures, à 9, à 10, j’arrive toujours au moment de la Kermesse, il doit y avoir un mystère là-dessous. » – Le fait est que si on examinait bien, on découvrirait peut-être que par erreur ou par calcul, un soir ou un autre, la Kermesse aura été jouée deux ou trois fois, ce qui serait trop, même
pour un divertissement gracieux et original.

Ce qui manque au théâtre des Bouffes, ce sont des ballets bien soignés comme exécution, et comme mise en scène, de jolies petites féeries. Je sais bien qu’à ce théâtre et avec l’heureuse fécondité d’Offenbach et le concours de tant de jeunes compositeurs, l’élément principal de succès doit être et sera toujours la musique. Mais croit-on que le public, attiré par Ba-ta-clan ou par le violoneux ou par toute autre opérette, ne serait pas très content de voir avant ou après
ces petits chefs-d’œuvre de mélodie, de gracieuses danseuses et de jolis divertissements, dans le genre de ceux qu’offrent tous les soirs les Folies-Nouvelles à leurs habitués ?

On me dira : c’est là la spécialité du théâtre de MM. Altaroche et Huart, et c’est avec la pantomime, ce qui fait leur succès ; mais de même que les Saynètes musicales sont l’accessoire aux Folies-Nouvelles, aux Bouffes, des intermèdes de dame devraient s’adjoindre, en manière de hors-d’œuvres, aux morceaux de résistance destinés à satisfaire
l’appétit des dilettantes.

Il est bien entendu que je ne parle que d’intermèdes jamais je ne conseillerais à M. Offenbach de monter des pantomimes en plusieurs tableaux. – Pour faire un civet de lièvre, il faut prendre un lièvre pour jouer une grande pantomime, il faut un Paul Legrand. Plus je vois cet admirable mime, ce masque spirituel cette intelligence exquise, ces
gestes vifs et gracieux, et plus je trouve en lui tout ce que J. J. a écrit de Deburau. – Je suis d’autant plus enthousiaste de Paul Legrand, que je n’ai jamais rien compris à la pantomime, et cela date de loin. Lors de la Muette de Portici ; j’ai longtemps pris Fenella pour Mazaniello, travesti en femme, pour une raison politique. Je ne comprends pas davantage ce que dit ou ce qu’exprime Paul Legrand ; mais son talent est si varié, son œil si sympathique, qu’il produit sur moi l’effet de la musique de Beethoven ou de Shubert… il me fait rêver. Si je suis gai, il poétise ma joie ; si je suis triste, il déride mon chagrin. (…)

G. Bourdin.

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