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Théâtres des Menus-Plaisirs

Revue et gazette musicale de Paris – 5 janvier 1868

Geneviève de Brabant,

Opéra-bouffe en trois actes et dix tableaux, de MM. Hector Crémieux et Tréfeu, musique de J. Offenbach.

(Première représentation le 26 décembre 1867.)

Lorsque la première Geneviève de Brabant fut représentée aux Bouffes-Parisiens en 1859, ce théâtre était alors à l’apogée de son succès. La pièce était magnifiquement montée ; elle avait pour principaux interprètes Désiré, Léonce, Mlle Lise Tautin et la belle Mlle Maréchal dans le rôle de Geneviève. Offenbach y avait prodigué de charmants motifs, dont quelques-uns sont restés célèbres. Et cependant tous ces éléments favorables ne purent lutter contre l’indifférence du public. La faute en était évidemment aux auteurs des paroles, qui avaient fait fausse route en poussant la fantaisie au delà des limites permises, même dans un genre où l’on permet tant de choses.

La musique d’Offenbach méritait de survivre à ce naufrage ; aussi doit-on savoir gré au petit théâtre des Menus-Plaisirs de la tentative qu’il vient de faire en ce sens et des sacrifices de toute espèce qu’il y a consacrés. Avant tout, il fallait remanier l’ouvrage de MM. Jaime fils et Tréfeu. C’est M. Hector Crémieux, l’un des auteurs de Robinson Crusoé, qui a entrepris cette tâche, et il faut convenir qu’il était difficile de s’en mieux acquitter. Nous ne lui reprocherons, surtout dans la première partie, que certaines longueurs qu’on peut aisément faire disparaître. Mais, en revanche, il a introduit dans l’économie de la pièce deux créations nouvelles, qui lui ont donné le ressort qu’elle n’avait pas. C’est d’abord l’intervention du page Drogan dans les aventures de Geneviève, dont il se fait le protecteur, et puis l’action épisodique des deux gens-d’armes indiqués par la complainte, et qu’on avait maladroitement oubliés dans l’opérette des Bouffes-Parisiens. Ces deux gens-d’armes, parfaitement joués par MM. Ginet et Gabel, sont tout simplement le moyen d’attraction le plus certain de la Geneviève des Menus-Plaisirs ; ils deviendront légendaires comme leurs confrères de Gustave Nadaud.

Hâtons-nous d’ajouter que la partition d’Offenbach, revue et considérablement augmentée, n’aura pas une médiocre influence sur le succès qui se dessine en ce moment dans de très-vastes proportions. Nous y avons retrouvé avec plaisir les couplets drolatiques de la Poule sur un mur, la gracieuse sérénade : Ohé ! de la fenêtre, ohé ! la chanson de Charles Martel, et le fameux finale : Le clairon qui sonne, encore dans la mémoire de tout le monde. L’autre soir, en l’entendant, les spectateurs n’ont pas pu se défendre d’un enthousiasme frénétique, et il a fallu relever le rideau pour le redire en entier.

Parmi les nouveaux morceaux d’Offenbach, il y en a plusieurs qui ont provoqué de légitimes bravos, notamment la chanson du pâtissier, le très-joli trio de femmes : Chérubin, qu’il a l’air doux ! les couplets du page, au sixième tableau, la scène de l’ermite et, en première ligne, les couplets des deux gens d’armes, qui sont très-bien réussis, et qu’on a eu raison de faire bisser.

Le rôle du page Drogan, la cheville ouvrière de l’ouvrage, est joué et chanté par Mlle Zulma Bouffar avec un brio, avec une facilité que n’ont pas même effleurés les trois cents représentations consécutives de la Vie Parisienne, dont elle sort à peine.

Mlle Baudier n’a pas, à beaucoup près, le charme de Mlle Maréchal sous les traits de Geneviève ; mais elle chante avec goût. Mme de Brigny-Varney, dans son rôle de soubrette, fait preuve de vivacité piquante et vocalise agréablement.

Gourdon, que nous avons souvent applaudi aux Fantaisies-Parisiennes, tire un excellent parti du rôle de Siffroid ; Daniel Bac fait tout ce qu’il peut de celui de Golo ; quant à Lesage, qui représente Charles Martel, nous n’avons pas reconnu en lui l’ancien baryton du théâtre Lyrique.

Une mise en scène brillante, de riches costumes, un intermède de danse, avec Mlle Battagliri, des chants tyroliens, exécutés par la famille Martens, qu’on a tant entendue, cet été, à l’Alcazar des Champs-Elysées, d’intelligents artistes secondaires, un essaim de jolies femmes dans les petits rôles et, enfin, un bon orchestre, conduit avec verve par M. Boullard, voilà certes plus qu’il n’en faut pour aider à rendre plusieurs fois centenaire la nouvelle Geneviève de Brabant de l’heureux et universel maestro Jacques Offenbach.

D.

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