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Tout Paris – Voyage autour d’un Roi et d’une Reine

Le Figaro – Samedi 20 janvier 1872

C’est Tout Carotte qu’il eut fallu intituler ma chronique aujourd’hui.

Le fondateur de la dynastie Carotte, si splendidement vêtue et logée par M. Boulet, est Victorien Sardou.

Sardou, si timide au début de sa carrière, est aujourd’hui si arrogant, si terrible, que le corps de ballet de la Gaîté a failli le dévorer.

Voici dans quelles circonstances :

Un soir, à une des dernières répétitions générale du Roi Carotte, le ballet venait de finir, et Sardou, mécontent de la façon dont les pas avaient été exécutés, exprimait vertement au maître de ballet le dédain que lui inspirait le royal Terpsychore de la Gaîté.

Par malheur, deux ou trois petites coryphées qui étaient restées sur la scène, ayant entendu les propos peu galants de Sardou à leur endroit, s’empressèrent d’aller les répéter bien vite à leurs camarades.

– Voyons, dit l’une d’elles, nous sommes cinquante : descendons en masse sur la scène et flanquons-lui une pile pour lui apprendre à être poli.

Sitôt dit, sitôt fait : nos cinquante ballerines, sans même songer à l’achèvement de leur toilette, descendent en bataillons serrés sur la scène, bien décidées à vaincre ou à mourir…

Heureusement pour Sardou, il venait de partir.

Je ne jurerais par que ce soit tout à fait pour cette raison ; mais ce qu’il y a de certain, c’est que depuis ce soir-là, Sardou n’a plus remis les pieds à la Gaîté.

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Le collaborateur de Sardou, Jacques Offenbach, est connu dans le monde entier.

Je voudrais bien répéter ici ce que tout le monde dit de lui, c’est-à-dire qu’il a un talent immense ; mais il m’en voudrait de n’avoir pas imprimé qu’il a du génie.

Offenbach, le roi de la musique parisienne, a, dans la conversation, le même esprit que dans ses partitions.

Modeste comme un véritable vergeismeinnicht, il exècre qu’on dise du bien de lui dans un journal – plus d’une fois par jour.

On dit qu’Offenbach prépare un opéra-bouffe dont il fera les paroles. Pourquoi pas ? Le comique Laurent n’a eu qu’un rêve toute sa vie : jouer les traîtres de mélodrame ; et Rachel prétendait qu’elle était incomprise, parce qu’on ne voulait point lui confier les soubrettes de Marivaux.

Les amis et les parents d’Offenbach lui sont tout dévoués, – et ces justice.

C’est un finaud dont la personne et le talent sont sympathiques à tous.

Ce dévouement, ses intimes le poussent même si loin, que le lendemain de la première du Roi Carotte, un d’eux me disait naïvement :

– Quel malheur qu’Offenbach ait fait cette pièce avec Sardou.

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Les étoiles du Roi Carotte sont mesdames Zulma Bouffar, Judic et Séveste.

Zulma Bouffar est l’artiste préférée du maëstro.

Depuis Litschen et Fritschen, elle se promène dans presque toutes ses pièces, gazouillant, d’un acte à l’autre, avec sa voix de cristal, les strettes ailées et chatoyantes qu’Offenbach ne trouve vraiment que pour elle.

Zulma est un des grands attraits du Roi Carotte.

Mademoiselle Séveste a trop de chant dans son rôle ; peut-être paraît-il long parce qu’il n’est point de l’Offenbach de derrière les fagots.

Ce qui est inouï, par exemple, c’est le peu de parti que l’on a tiré de madame Judic, dont tout le rôle ne vaut pas une des chansons ordinaires de cette Victoria des cafés-concerts.

Un peu plus, et j’oubliais la belle Mariani ! Mariani, sans laquelle une féerie n’est pas possible ; Mariani, qui manie la baguette magique comme madame Plessy l’éventail.

A l’une des répétitions du Roi Carotte, je demandai à mademoiselle Mariani si elle était satisfaite de son rôle.

– Enchantée ! me répondit-elle. C’est encore une fée, mais une fée qui a du caractère, un fée vraie, enfin. On sent qu’elle est écrite par Sardou.

J’avoue que j’attendais avec impatience cette fée, que Sardou, au dire de son interprète, semblait avoir « prise sur nature. »

Que ne fut pas mon étonnement, le soir de la répétition générale, lorsqu’au bout de cinq minutes qu’elle était en scène, je vis que, par un talisman sur lequel Sardou devait compter énormément, la coiffure de Mariani se transformait en… je vous juste que je n’ose pas l’écrire… en pot de nuit !… sur lequel se trouvait en guise d’aigrette, trois petits balais de chiendent !…

Il paraît que les photographes de la capitale ont offert des sommes fantastiques pour la pourtraicturer sous cette coiffure ; mais elle a refusée.

Selon moi, c’est un tort. Quelle belle vengeance pour elle que de se faire exposer sous ce costume, à la vitrine de Goupil ou de Deforges, avec une inscription : Eugénie Mariani, dans la dernière œuvre de Victorien Sardou.

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Passons à l’épouse du Roi Carotte.

La véritable auteur du succès de la Reine Carotte, c’est Thérésa. (…)

Victor Koning.

(…)

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