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Chronique musicale

Le Figaro – Samedi 3 octobre 1868

Réouverture des Bouffes-Parisiens : Le Fifre enchanté. – L’Ile de Tulipatan. – L’Arche-Marion. – Rentrée des Italiens : Lucia. – Fraschini. – Adelina Patti.

Le petit théâtre des Bouffes-Parisiens, nettoyé des végétations parasites du vaudeville, est revenu à la musique légère et folle qui fit sa popularité. Deux succès, dans deux genres différents, ont fêté cette réouverture. La très agréable partition du Fifre enchanté est un petit acte dont la gaieté ne force point le cadre de l’opéra-comique ; L’Ile de Tulipatan, au contraire, se donne les coudées franches dans les licences de l’opérette-bouffe dé la première scène à la dernière, – et puisque musique il y a – c’est un crescendo formidable dans l’éclat de rire.

La donnée du Fifre enchanté est empruntée au théâtre espagnol. Au siècle dernier, le souffleur du Théâtre-Italien, Anseaume, et le joueur d’échecs musicien, Philidor, tirèrent de la saynette espagnole le Soldat magicien, qui fut joué au théâtre de la foire Saint-Laurent (le berceau de l’opéra comique) le 14 août 1760.

Les deux opéras comiques n’ont de commun que le point de départ. En 1868 comme en 1760, le fonds de ce badinage est des plus légers. Le librettiste s’efface modestement, et, la baguette à la main ou le fifre aux lèvres c’est le compositeur qui doit jouer le rôle du magicien.

Le Fifre enchanté restera une des plus jolies partitions de M. Offenbach. Tout en demeurant fidèle à sa manière dans les deux chansons du fifre et dans les couplets spirituellement détaillés par le notaire Popelinet : Ce bouquet si coquet, le compositeur a fait à la musique une part plus large assurément qu’à la cascade musicale dans d’eux pages très réussies de sa partition. Le quintette : Ça sent la truffe, est un morceau traité avec autant d’esprit que d’entente de la scène. Ce joli morceau est tout à fait dans le goût du style bouffe de l’ancienne école italienne.

Avec ce quintette, et sur la même ligne, je citerai le quatuor syllabique écrit sur une vaporeuse phrase d’orchestre déjà entendue dans l’ouverture. C’est un froufrou d’ailes dans la symphonie et un chuchottement [1] dans les voix de l’effet te plus délicieux. Est-il besoin de vous apprendre que la chanson du fifre est destinée à enlever, avec ses notes aiguës, les dilettantes du café-concert ? Voilà une réclame pour l’opéra nouveau qui fera son tour de France ; laissons-la courir à son adresse arec accompagnement de petite flûte et de tambour, et applaudissons le quintette et le quatuor du Fifre enchanté c’est la part faite aux délicats ; c’est la bonne.

L’exécution de ce joli petit ouvrage est très satisfaisante. Mademoiselle Fonti, le fifre Rigobert, a une charmante physionomie et beaucoup d’entrain. Mademoiselle Fonti a dit d’un [2] façon fort piquante ses deux chansons militaires. Mademoiselle Périer, la suivante Coraline, a un frais visage et une voix jeune comme ses yeux et son sourire. Elle ne s’est point mal tirée vraiment du trille et du trait vocalisé de son point d’orgue. Mademoiselle Périer est élève de Duprez. Mademoiselle Gilbert, qui complétait ce triolet de débutantes, s’est formée aux leçons de Régnier. On la dit intelligente ; elle n’a pas toutefois réussi aussi complètement que ses deux jeunes camarades ; elle ne jouait pas le bon rôle de la pièce et l’attitude réservée des spectateurs disait poliment mais clairement « Nous vous attendons, mademoiselle, à une autre création. » Bonnet, qui sort des Fantaisies-Parisiennes, se fera vite sa place sur un théâtre qu’il ne fit que traverser à ses débuts. Il a joué d’une façon fort plaisante au boulevard Arlequin, l’eunuque de l’Oie du Caire, et l’Eveillé du Barbier de Paisielle.

Mais le succès prodigieux de cette soirée i de réouverture, c’est l’énorme folie baptisée par MM. Chivot et Duru : l’Ile de Tulipatan. Cela dépasse en extravagances heureuses toutes les cocasseries sans queue ni tête que s’est permises et qu’a fait réussir, bravant le sens commun, l’opérette depuis une douzaine d’années. L’Ile de Tulipatan était un triomphe pour les auteurs, pour le théâtre, pour les acteurs, avant que madame Thierret eût pu ouvrir la bouche ; et madame Thierret est en scène au lever du rideau. Lorsqu’au-dessous du frou-frou de la toile on a aperçu madame Bomboïdal, la femme du fidèle sujet et loyal ami du roi Cacatois XXII, avancer un pied furtif vers la rampe, et, – le corps en avant, le regard circulairement promené autour de la salle, les lèvres ironiquement pincées, l’oreille aux aguets, le sourcil ondulé par une anxiété vague, – réclamer des spectateurs un moment de silence avec un geste de la main en zigzag, un immense éclat de rire ; une étourdissante acclamation ont accueilli et salué la farceuse olympienne. L’entrés de Talma dans Britannicus, la sarabande dansée par Grassot sur le marbre d’un poêle chauffé à blanc, étaient dépasssées [3]. Il a fallu cinq minutes aux spectateurs, tordus convulsivement dans leurs stalles, pour reprendre la ligne verticale et être en état d’entendre sans suffoquer le grand et terrible secret qu’avait à leur confier la mère très agitée de la belle Hermosa. Il va sans dire que la confidence est interrompue avant d’avoir été seulement ébauchée.

Je ne vous dirai point le secret de madame Bomboïdal pour deux raisons première raison, ce serait vous gâter d’avance le plaisir que vous vous promettez en assistant à l’Ile enchantée [4] ; deuxième raison qui me dispense d’avoir recours à l’autre – je ne saurais, en vérité, comment m’y prendre pour expliquer la double métamorphose qui, au dénoûment, change en garçon en fille unique de madame Thierret, et en fille l’héritier du bon roi Cacatois XXII. Les deux auteurs ont recours pour cela à une explication de famille entre le souverain de l’île de Tulipatan et le couple Bomboïdal ; cette scène est le chef-d’œuvrë de l’imbroglio dramatique. Cela dépasse en gaieté et en folie tout ce qu’on a fait, tout ce qu’on pourra faire en ce genre. L’extravagance qui réussit à ce point porte en soi son excuse et même sa glorification, car elle devient de l’art, du meilleur et assurément, du plus difficile. C’est toujours le même problème à résoudre depuiis [5] Molière « faire rire les honnêtes gens. » Et l’on a tant ri, à cette soirée de l’Ile de Tulipatan, que cette gaieté a dû réveiller à distance les échos jaloux et un peu endormis du Palais-Royal.

Je serais bien embarrassé de vous apprendre le personnage que fait au juste la musique d’Offenbach mêlée aux énormités du dialogue ; je suppose que, prenant le la du poëme, elle a le diable au corps, et j’en veux croire sur parole l’esprit et la verve d’un musicien habitué dompter les rythmes vertigineux et à faire le grand écart, un pied sur la scène et l’autre dans l’orchestre.

La pièce est vivement jouée. J’ai nommé madame Thierret, qui enh fera la fortune. Après cette caricature colossale et fine, – et fort au-dessous, cela s’entend, – se placent modestement Bonnet et Berthelier, et un jeune débuiant [6] qui a réussi du premier coup. Il fait la masculine Hermosa, et il a diverti son public en imitant avec la bouche le trombone, le tambour et le violoncelle. Le débutant porte un nom latin de bonne augure : Victor.

(…)

Benedict.

[1Sic.

[2Sic.

[3Sic.

[4Sic.

[5Sic

[6Sic.

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