(Réouverture le 30 septembre 1868.)
L’Arche-Marion, opérette en un acte de M. Albéric Second, musique de M. Adolphe Nibelle. — Le Fifre enchanté, opérette en un acte de MM. Nuitter et Trefeu, musique de M. J. Offencach. — L’Ile de Tulipatan, paroles de MM. Chivot et Duru, musique de M. J. Offenbaff.
Lui aussi, le théâtre des Bouffes, a voulu faire peau neuve, et directeur, ornemaniste et doreur n’y ont ménagé ni leur bourse ni leur habileté. Si le mot « bonbonnière » n’avait déjà trop servi, nous l’emploierions pour désigner la salle des Bouffes. C’est frais, coquet, charmant ! En en prenant la direction, M. Noriac a paru montrer qu’il tenait à conserver à cet amusant théâtre sa double physionomie : la gaieté folle, la farce bouffonne, le franc éclat de rire, — et un certain cachet littéraire, le caractère et l’esprit de l’opéra-comique français. Aussi nous a-t-il donné, dès le premier soir, un heureux échantillon des deux genres : l’opéra-comique en miniature d’abord, et tel que l’aurait pu jouer la salle Favart ; ensuite, la bonne et grosse farce désopilante, rappelant les premières années du petit théâtre qui depuis... mais alors il n’était pas si ambitieux et n’avait pas encore touché aux dieux et déesses de l’Olympe, il n’avait pas encore parodié Homère et Gluck.
L’Arche-Marion est une petite comédie à rôles jumeaux, si l’on peut employer cette locution. Deux individus ayant fait chacun une sottise, et n’en osant pas affronter les conséquences, veulent se jeter à l’eau. Une jeune fille accorte et pimpante passe, et la fable des deux coqs et de la poule reste à peu pirès la même, mais dans un autre genre. Ils étaient d’accord pour se tuer ; voilà que chacun des deux voudrait que l’autre se jetât dans la rivière, pour que le survivant épousât la belle enfant. Celle-ci, qui n’est pas bête, cherche un expédient, elle veut gagner du temps : Buvons, dit-elle. L’un d’eux se grise et s’endort ; l’autre, plus avisé, trouve le moyen de faire la cour à la jeune fille et de se faire accepter. Un écrivain public du nom de Saturne complète le quatuor ; c’est un rôle fort comique qui traverse toute la pièce et l’égaie. Comédie et vers sont d’un homme de lettres et d’un homme d’esprit, de notre cher confrère Albéric Second.
La musique, de M. Adolphe Nibelle, a la saveur de l’ancien opéra-comique, qui n’est certes pas à dédaigner ; on devine que le compositeur a étudié les beaux modèles : légère, agréable, facile, bien orchestrée, elle gagnera à être mieux exécutée.
— Le Fifre enchanté est un bijou, c’est de l’Offenbach de salon ; on y reconnaît les aspirations mélodiques de l’auteur du Mariage aux Lanternes et de la Chanson de Fortunio. Il y a là l’air du Fifre qui va devenir populaire, et surtout un morceau d’ensemble sur ces mots : Ça sent la truffe ! qui est un modèle du genre. Ces deux suffisent au succès d’une opérette, et ils ne sont pas les seuls qu’on ait applaudis. Ems avait eu la primeur de cette ravissante opérette, Paris en a ratifié le succès.
— Après le sourire, le rire aux éclats. La pièce de MM. Chivot et Duru ne s’analyse pas. Elle roule sur une donnée des plus amusantes. Le grand-duc Cacatois XXII a une fille qui passe pour un garçon. Son sénéchal, en revanche, a un fils qui passe pour une demoiselle. Faites qu’ils s’aiment ; mettez la mère du jeune homme dans le secret, — et partez de là. Je vous laisse imaginer les scènes comiques qui s’ensuivent. On riait déjà à se tordre ; mais lorsque Berthelier (Cacatois XXII), ahuri par tout ce qu’on vient de lui dire au sujet du sexe des deux amoureux, commence un calcul arithmétique, un fou rire s’empare de la salle tout entière, et quand la toile tombe il n’a pas encore cessé.
Je vous laisse à penser si Offenbach a profité de l’occasion pour faire rire aussi ses mélodies et ses instruments. L’entrée de Cacatois XXII avec une mélopée de mare aux canards est une trouvaille. Il est vrai qu’il n’y a que Berthelier qui puisse remplir ce rôle. Mme Thierret était comme en famille ; son apparition a égayé tout l’auditoire. Victor est un orchestre à lui seul. Quand il a imité avec ses lèvres le son du violoncelle, Seligmann, qui était dans la salle, en a pâli.
On a tant ri, on s’est tant amusé à l’Ile de Tulipatan, qu’après la pièce presque tout le monde est parti. Nous ne savons pas devant qui on a joué les Deux vieilles Gardes de M. Delibes, un bon appoint aux trois pièces nouvelles et que M. Noriac a donné peut-être pour prouver qu’il conservait l’ancien répertoire des Bouffes. Un mot encore : la direction de l’orchestre est confiée à M. Jacobi, et il s’en acquitte à merveille.
Elias de Rauze.