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Correspondance

Le Figaro – Jeudi 24 février 1859

Le directeur des Bouffes-Parisiens nous adresse la lettre suivante, en réponse à une nouvelle sortie du critique des Débats contre son théâtre et sa musique. Nous aurions mauvaise grâce à refuser à M. Offenbach, qui est notre ami, ce que nous accordons au premier venu, l’hospitalité de nos colonnes. Nous ne prenons parti pour personne. M. Janin discute avec une persistance et une vivacité extraordinaires un théâtre, un genre, un compositeur, un auteur : c’est son droit. M. Offenbach, placé sur la défensive, se borne à répondre sans attaquer, mais répond spirituellement : c’est ce qu’il a de mieux à faire. Comme il n’a pas de journal à sa disposition, il vient gratter à la porte du Figaro, et les portes du Figaro s’ouvrent à deux battants.

H. DE VILLEMESSANT.

Bravo, Janin ! Merci, Janin ! Bon Janin, excellent Janin, Janin le meilleur des amis, Janin le plus grand des critiques ! Chantons les louanges de Janin ! Hurrah, Janin ! Hosanna pour Janin ! Portons un toast à Janin ! Janin Lebe hoche ! Janin for ever !

Vos réclames hebdomadaires et malveillantes portent leur fruit ; voilà bientôt 150 représentations de cet abominable Orphée aux enfers, et tous les jours plus de 2,000 fr. entrent dans la caisse de l’heureux directeur  ; Orphée, animé par les Gaietés champêtres, joue tous les soirs vos louanges sur sa lyre à quatre cordes. Eurydice, la tendre Eurydice, veut, lorsqu’elle reviendra des enfers, se faire Religieuse de Toulouse  ; en attendant, elle se livre plus que jamais à sa prose mordante et originale (paroles de Crémieux), à son chant large et entraînant (musique d’Offenbach), et à sa danse effrénée et excentrique (réglée par Mathieu, de l’Opéra).

Ah ! Janin, mon bon Janin ! que je vous ai de la reconnaissance de m’éreinter tous les lundis comme vous le faites ! N’éreintiez-vous pas Rachel ? N’éreintiez-vous pas Dumas ? N’éreintiez-vous pas Scribe et tous ceux qui ont un véritable talent ? Donc, je suis en très bonne compagnie. Vous traitez ma musique d’abominable invention, de musique au jupon court et sans jupon, la musique à la chie en lit ? (Schoking Janin) vous vous croyez encore à l’école ! Musique de carnaval et de bal masqué ! Musique en haillons ! Elle n’a pourtant jamais mendié une ligne de vous. Vous insultez le compositeur d’Orphée, l’auteur de la prose d’Orphée, les artistes qui jouent dans Orphée, le public qui va et applaudit à Orphée  ; vous insulteriez, s’il le fallait, la buraliste qui délivre des billets pour Orphée. Vos insultes font merveille. Vous vous êtes fait, pour moi, et par amitié pour moi, le Mangin de la littérature, le célèbre Mangin, le fameux marchand de crayons, moins le casque, mais je vous aime mieux comme cela. N’êtes-vous pas un Romain d’une espèce nouvelle ? Vos louanges et vos applaudissements ne font pas venir le public, vos insultes et vos éreintements produisent l’effet contraire. Continuez donc, mon cher Mangin, — non, Janin veux-je dire, — taillez vos crayons pour un nouvel article.

A lundi, et toujours à vous.

JACQUES OFFENBACH
Paris, ce 21 février 1859.

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