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Notes de musique

Le Gaulois – Vendredi 2 octobre 1868

Ouverture des Bouffes-Parisiens.

L’Arche Marion, opéra en un acte, paroles de M. Alberic Second, mus. de M. Nibele.

Le Fifre enchanté, opera-bouffe en un acte, paroles de MM. Nuitter et Tréfeu, musique de M. Jacques Offenbach.

L’Ile de Tulipatan, opéra-bouffe en 1 acte, paroles de MM. Chivot et Duru, musique de M. Jacques Offenbach.

Pour leur spectacle d’ouverture, les Bouffes tiennent un succès sans pareil ; voici bien des années que je n’avais entendu des applaudissements et des rires comme ceux dont j’ai été le témoin hier.

C’est à un tel point qu’à certains instants j’oubliais de regarder la scène, tout occupé que j’étais à voir des gens d’allure grave et très convenablement chauves se tordre comme dans un accès de joie épileptique.

C’est une chance heureuse et d’un bon augure, pour toute la durée de la direction nouvelle qu’un début aussi complétement réussi et aussi joyeusement accueilli.

La place dont les questions graves qui s’agitent dans ce journal léger me permettent de disposer en ce moment m’est si parcimonieusement comptée que je ne sais assez m’excuser auprès de mes lecteurs de leur donner des comptes rendus écourtés et incomplets ; quand des temps moins durs laisseront à l’art un peu de la place qu’envahit aujourd’hui la politique, je me rattraperai !

Le grand, l’immense, le révolutionnant succès d’hier soir se divise en deux parties, deux actes plus amusants l’un que l’autre.

Il y avait même en lever de rideau, et je regrette de ne pouvoir en parler pour être arrivé trop tard, une petite pièce qui ne devait certes pas manquer d’avoir son bouquet d’esprit et de mélodie, puisqu’elle est signée de MM. Albéric Second et Nibelle. Malheureusement je n’ai pu que constater les sympathiques applaudissements qui ont accueilli les noms des auteurs.

Le Fifre enchanté est une de ces pièces où se déploient si bien les qualités diverses d’Offenbach. Beaucoup plus gaie que la Chanson de Fortunio, on voit cependant qu’elle a dû être taillée sur le même patron. Ce n’est pas un reproche que je fais là, bien au contraire ! L’élément comique domine dans une proportion notable, considérable même, et pourtant il y a, de ça et de là, quelques unes de ces inspirations mélancoliques qui feraient croire, à ceux dont il n’est pas connu, qu’Offenbach est un rêveur mystique.

Le petit fifre du Royal-Berry est un petit gredin de la meilleure espèce, un vrai diable, qui se glisse dans les maisons honnêtes, suivi d’une bande de mauvais sujets de son genre ; il séduit les bonnes, brouille les ménages, aime à ses moments perdus et est, en somme, le plus séduisant bonhomme de la terre.

Souffrez que je vous le présente, mesdames et messieurs, ce petit fifre à l’œil étrange, intelligent et malicieux. C’est un être plein de grâce et de charme ; il a la figure la plus avenante sur un corps peut-être un peu trop riche en promesses ; la voix est charmante, le talent fin, le jeu plein de naturel et d’entrain. En un mot le nom du petit fifre est succès, à condition qu’on orthographie le mot succès de la façon suivante : Mme Fonti.

Il faudrait détailler la partition comme s’il s’agissait d’un grand opéra en cinq actes ! Citons au hasard.

L’ouverture très sentimentale est poivrée de loin en loin de quelques hardiesses de tonalités qui me font l’effet de jurons sortant de la bouche d’une jolie femme. Tantôt cela paraît délicieux, tantôt cela crispe. Cela dépend de la façon dont on est disposé.

Mademoiselle Perrier, très gentille soubrette, vocalise avec justesse et agilité, elle a eu des couplets fort applaudis.

Ceux qui suivent ont dû être répétés par Mme Fonti.

Bonnet, en procureur, chante une déclaration d’amour des plus désopilantes :

Ce bouquet
Si coquet !...

Et ce quintette ravissant, plein de restrictions, qui est d’une gourmandise de moine de Ripaille : Ça sent la truffe ! La couleur de la musique est si accentuée qu’elle est presque devenue un parfum, et qu’on aurait juré qu’un panier de truites embaumait la scène et la salle.

Et puis bien d’autres choses encore que je n’ai pas le temps de dire ! Je citerai seulement la chanson du fifre, enlevée gaillardement par Mme Fonti, et qui a été redemandée avec acclamations.

Ai-je besoin de faire l’éloge de la pièce et de la musique après tout cela ? Non J’applaudis comme tout le monde les noms des auteurs et je passe à l’Ile de Tulipatan.

J’avais bien peur que le succès de cette dernière pièce fut compromis par le succès de celle qui l’avait précédée ! Ah bien, oui !

L’enthousiasme – ne riez pas du mot ; c’était de l’enthousiasme – avec lequel on a accueilli Mme Thierret, Berthelier, Victor, Bonnet est indescriptible ! Les costutumes [1] sont à mourir de rire ! les plaisanteries impitoyables, les gestes renversants ; c’est de la bouffonnerie à la centième puissance, c’est de l’insenséisme musicale. L’ouverture est un quadrille de bal d’opéra ! On dansait dans ses fauteuils. La chanson de Berthelier : C’est un Carnad, est très amusante.

Il y a des duos, des ensembles, des mélodies, des fantaisies : il y a de tout et plus encore, il y a des imitations très habilement faites par M. Victor, imitations d’instruments.

La pièce roule sur une double substitution d’enfants ; il y a une scène surtout !

C’est idiot ! mais c’est à en mourir !

MM. Chivot et Duru ont fait un chef-d’œuvre, et Offenbach a retrouvé dans ces deux pièces sa verve des meilleurs jours.

Eugène Tarbé.

[1Sic.

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