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Semaine théâtrale

Le Ménestrel – Dimanche 20 mars 1864

(...) Bouffes-Parisiens : Les Géorgiennes, opéra-bouffe en 3 actes, paroles de M. Moinaux, musique de M. Jacques Offenbach. (...)

Nous les avons vues, enfin, ces Géorgiennes, qui devaient inaugurer la saison ; elles avaient manqué l’heure... de quelques mois, attardées, sans doute, pas leur toilette, qui est éblouissante, mais qu’on a trouvée un peu tapageuse, et qui a paru telle surtout à cause de l’élégance et de la beauté de la salle nouvelle, qui appelle évidemment un genre de spectacle plus délicat et plus relevé. Ce n’est pas qu’il y ait eu insuccès ; je dois constater, au contraire, que le succès, surtout au dernier acte, a été des plus bruyants, presque aussi bruyant que le tonnerre d’orchestre, d’ensemble vocal et de tambours qui retentissent par moments. Je constaterai cependant, avec la même franchise, que cet accès de vacarme et les grosses farces dont le livret est trop abondamment farci, semblaient en général amuser peu, et indisposaient plutôt le public. Les mêmes drôleries qui faisaient rage autrefois ont de la peine à remplir une scène plus vaste. Des pièces du genre de celles-ci ne s’analysent pas. J’en ferai seulement le croquis en trois coups de fusain. — Un pacha, désireux de remonter son sérail, est venu mettre le siège devant un petit village de Géorgie ; les hommes du village s’étant couverts de honte dans une sortie, les femmes s’emparent de l’autorité, montent la garde, et finissent par s’emparer du pacha avec l’aide de leurs époux, qui méritent ainsi de rentrer en grâce. Vous devinez toutes les plaisanteries auxquelles peuvent donner lieu ces deux ou trois situations peu neuves au théâtre, et peu rajeunies par le librettiste. Mais enfin, si l’on voulait un prétexte à une mise en scène brillante et galante, on a été servi à souhait. La Géorgie offrait à l’imagination du metteur en scène des costumes pittoresques, des mines d’or, de rubis, et surtout la beauté de ses femmes, célèbre dans tout l’Orient. Les figurantes n’ont pas précisément le type géorgien, mais peut-être leurs minois de fantaisie font-ils mieux l’affaire de l’orchestre. Les costumes sont variés et brillants. Mais venons à la musique ; grosse caisse et tambours à part, il y a de jolies choses. Les morceaux qu’on a le plus applaudis sont le chœur des Géorgiennes, au lever du rideau : — des couplets chantés tout en voix de tête par Léonce ; — l’air du pacha, que l’excellent Pradeau a fait bisser, et dont le gentil motif revient dans l’introduction du deuxième acte ; — une espèce de finale qui contient le chœur de la révolte des femmes et une marche de guerriers éclopés ; — au deuxième acte, les couplets de Pradeau devenu le tambour-major de douze jolis timbaliers, rivaux des pages du roi de Garbe ; — des couplets bien dits par le capitaine Zulma-Bouffar :

Mon général, je faisais cuire
De la bouillie à mon enfant.

Un duo de séduction assez heureux, et enfin, au troisième acte, une Marseillaise de femmes, dont le vacarme a dû épouvanter les paisibles boutiquiers du passage Choiseul. Cette Marseillaise est conduite, sans peur et sans reproche, par Mlle Saint-Urbain, en vraie cantatrice qui a tenu les grands rôles à Ventadour et à l’Opéra-Comique, et qui n’en est pas plus fière pour cela. Elle a l’aplomb et la beauté d’une amazone, deux conditions essentielles dans le rôle de Ferosa. En somme, toute cette musique est pimpante, chantante et surtout dansante ; elle s’arrangera toute seule en polkas, en valses et en quadrilles.

Gustave Bertrand.

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