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Bouffes Parisiens

Le Figaro – Dimanche 10 janvier 1864

LA NOUVELLE SALLE

M. Charpentier fils a trouvé le moyen de transformer l’ancienne bonbonnière – soyons poli – du passage Choiseul en une salle très commode, très jolie, très bien décorée, et relativement très grande. Loges, stalles, baignoires, tout cela est soigné et confortable. Malheureusement, pressé comme on était d’inaugurer la salle, on l’avait chauffée d’une manière fort insuffisante. Tout le monde remettait son paletot ou son cache-nez ; on gelait littéralement ; aussi, sans calembour, la soirée a été un peu froide.

Nous ne dirons rien d’un prologue prétentieux, et nous constaterons le franc succès d’une petite saynète à deux personnages, Lischen et Fritzchen ; c’est court, leste, amusant ; de l’Offenbach de derrière les fagots.

Les couplets de la Marchande de balais sont très réussis ; le refrain piquant et bien ramené deviendra populaire. Il y a aussi un duettino net et bien venu sur un mouvement de valse :

Je suis Alsacienne,
Je suis Alsacien,

que tout le monde fredonnait en sortant. Cette saynète servait de début à Mlle Zulma Bouffar, qui, avec une expressive et fine figure, a un jeu naturel, une toute petite voix très pure, très juste et une certaine grâce. Désiré aussi a joué avec beaucoup de rondeur et de gaieté.

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Si la saynete a amusé, en revanche, la grande pièce a beaucoup ennuyé. On a trouvé ça et là dans la musique de l’Amour chanteur quelques jolis détails, mais ils ne sauvent ni la partition ni la pièce, qui est peut-être d’un genre un peu relevé pour les Bouffes.

Cet insuccès puisse-t-il corriger M. Offenbach des opérettes à grands airs et à roulades. Il a, sinon créé, du moins personnifié un genre amusant, mais que l’absence de prétentions seule rend acceptable. Pourquoi tenter hors de là des excursions malheureuses ? La saynète de Lischen et Fritschen a été improvisée en deux ou trois heures à Ems nous avons dit combien elle est charmante, combien on la sent venir d’inspiration. M. Offenbach, évidemment, a beaucoup plus travaillé l’Amour chanteur, c’était bien inutile.

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Mlle Irma Marié, fille du chanteur de l’Opéra et sœur de Mme Galli-Marié, débutait dans cette pièce malencontreuse. Ce n’est point une grande voix, mais, assurément, elle chante bien, quoique abusant un peu des cocottes. Peut-être n’a-t-elle pas le physique suffisant, pour l’optique de la scène, et, par-dessus le marché, on l’avait fagotée d’un costume d’Amour qui ne lui seyait nullement. Nous ne comprenons pas que sa sœur, que nous avons aperçue dans la salle, ne fût pas auprès d’elle dans les coulisses pour la costumer et la grimer. En somme, Mlle Irma Marié a payé les pots cassés, et, dans la débâcle de la pièce, a été moins applaudie que, certes, elle aurait dû l’être. Dans deux rôles qui ne valent pas grand chose, nous devons signaler M. Pradeau, qui a fait tous ses efforts pour égayer la situation, et Mlle Géraldine, toujours sémillante, jolie et spirituelle.

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Maintenant, pour finir, une question à M. Offenbach. L’attrait d’une salle neuve suffisait au succès de cette réouverture ; pourquoi, au lieu de deux nouveautés dont une mauvaise, ne pas reprendre l’un des succès historiques de l’endroit, la Chanson de Fortunio, par exemple ? Mieux encore : pourquoi ne pas faire affiche avec des noms qui ne fussent point le sien, ils ne manquent pas dans le répertoire des Bouffes : M’sieu Landry de M. Duprato, l’Omelette à la Follembûche de M. Delibes ; ou mieux que tout, les Pantins de Violette, ce charmant badinage d’Ad. Adam ?

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Il y a là une politesse à faire, et le directeur des Bouffes a trop d’esprit pour ne pas bientôt s’en apercevoir.

F. M.

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