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Petit courrier des bains de mer – Étretat

Le Figaro – Dimanche 24 septembre 1854

La sérénade aux étoiles.

Oh ! combien nous préférons à toutes ces extravagantes minauderies des coquettes aux abois et aux bourdonnements des hannetons de la mode, les franches et rustiques beautés des bains d’Étretat la mer y sent la mer et non pas le musc et l’eau de Cologne, mais notre ami de Saint-Georges s’y trouverait mal
Entassez programmes sur programmes, le tourbillon fiévreux des casinos ne vaudra jamais pour l’artiste et le touriste sentimental la jolie soirée romantique que les baigneurs d’Étretat, cette joyeuse et charmante famille, ont passée, l’autre soir. Quelle fête, même en y jetant l’or par les fenêtres, causera jamais à tous les assistants les suaves et mélancoliques émotions de la Sérénade aux étoiles.
Offenbach, l’un des maitres du violoncelle, ce roi des instruments, avait improvisé, l’autre soir, un concert sur l’eau – la belle mer de nos côtes normandes était calme et tranquille comme un lac. – De huit à onze heures du soir, toutes les barques du pays, pavoisées de lanternes chinoises et dont chaque coup de rames faisait jaillir de la mer des étincelles phosphorescentes, promenèrent dans la rade toute la colonie d’Étretat. – Le violoncelle jouait mille mélodies tendres,
amoureuses, énergiques et passionnées ; – on entendait sans voir les sons semblaient venir d’en haut ; – on eût dit le Génie de la nuit qui chantait et qui pleurait dans la brise la lune éclairait le ciel bleu sur lequel se détachaient en grandes ombres fantastiques, les aiguilles, les falaises, les rochers d’Étretat ; – on se croyait dans le monde des féeries, et les rochers avaient l’air de sombres et vieux manoirs en ruines ; – puis, un air sautillant, spirituel et léger ramenait les pensées vers des sensations plus terrestres ; – une voix de femme, pure et vibrante (celle d’une jeune Allemande, qui fera parler d’elle, Mlle Elisabeth Mathias, élève de Bordogni ), s’est fait entendre aussi dans cette poétique sérénade… Et chaque barque, dont le capitaine improvisé prenait soin, galamment, de sa petite société, se rapprochait des autres ; on riait, on jasait, on écoutait, on applaudissait, sur cette ile flottante.
– Oh ! la féerique soirée !… oh ! les doux souvenirs !

J.V.

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