Les Variétés ont repris la Vie Parisienne avec les anciens interprètes. Mlle Brémond a remplacé Mlle Berthall, et Mlle Vanghell a continué à reprendre le rôle de la gantière, dans lequel Zulma Bouffar s’est incarnée comme Schneider dans celui de la Grande Duchesse.
Toutes les fois qu’on joue l’opérette de Meilhac, Halévy et Offenbach on est sûr de rencontrer quelqu’un, soit au théâtre, soit même sur le boulevard, qui vous interpellera ainsi :
– Et dire qu’à la veille de la première, les directeurs du Palais-Royal croyaient que cette pièce ne finirait pas !
Là-dessus, toutes sortes de considérations sur les surprises de la rampe :
– Sait-on jamais ! On croit tomber et c’est un succès, on croit réussir et c’est un four ! Le théâtre est si trompeur ! Le public est si capricieux !
Et, en effet, comment saurait-on ? Comment prévoir l’arrêt des spectateurs avant la première, alors que, pendant la première même, les auteurs ne se rendent pas toujours compte de ce qui se passe dans la salle, ni de ce qu’on pense de leur pièce.
On est là, nerveux, derrière un portant, essayant d’analyser les rires et les applaudissements, les « oh ! » et les « ah ! », bien content quand on peut trouver un petit trou de rien à travers lequel on plonge dans la salle, observant les physionomies de chacun, essayant de voir si Schneider rit et si Sarcey s’amuse. Mais on serait bien embarrassé de se faire une opinion.
En voici des exemples.
Je me rappelle qu’a la première de Gilberte au Gymnase, l’entrée de Mlle Delaporte qui reparaissait à Paris après un long exil en Russie, était annoncée quelques minutes d’avance. Il se fit un grand murmure dans la salle. MM. Gondinet et Raymond Deslandes pensèrent aussitôt qu’un accroc imprévu venait de se produire, qu’un mot quelconque avait choqué le public et tous deux, très pâles, prenaient pour la menace d’une chute ce qui était au contraire le commencement d’un succès.
Le directeur des Variétés se trouve généralement à côté des auteurs dans les coulisses. Il est impatient, inquiet, malade. Mais il fait ce qu’il peut pour surmonter sa faiblesse et inspirer confiance à ceux qui l’entourent.
Un jour, on jouait un vaudeville qui n’allait pas trop bien. On avait compté sur un succès de rire, le public ne bronchait pas. Les farces les plus folles s’émoussaient devant son attitude glaciale.
– Il me semble, dit l’un des auteurs à M. Bertrand, il me semble que voilà un léger froid ?
Et Bertrand de répondre :
– Non, mon ami, on écoute !
Enfin, un de mes amis, auteur dramatique et journaliste, me racontait précisément ce soir qu’il avait commis, dans sa jeunesse, avec un auteur qui comptait plus d’années que de succès, un opéra-comique assez ridicule. Les répétitions n’avaient pas marché du tout et le dénouement inspirait à tout le monde les craintes les plus sérieuses. On y voyait des sbires, charges d’arrêter de jeunes amants et de les jeter en prison, se transformer subitement et sans trop de raison en notaires pour signer un contrat.
C’était d’une faiblesse extrême.
L’auteur débutant avait plusieurs fois manifesté à l’auteur sur son déclin l’inquiétude que lui inspirait cette scène.
– Bah ! lui avait répondu celui-ci, c’est la scène à succès de la pièce ! Vous verrez cela…
– J’aimerais mieux ne pas signer ! avait timidement risqué le jeune auteur.
– Vous n’êtes qu’un poltron ; vous ferez du reste comme bon vous semblera.
Le soir de la première arrive. La pièce est loin d’exciter l’enthousiasme. Quand arrive la scène des notaires un « Ah ! » de dégoût s’élève dans la salle. Ce n’est qu’un seul cri.
Au même moment le vieil auteur se jette dans les bras du jeune en disant :
– Eh bien ! Vous voyez ? Vous ne comptiez pas sur cet effet-là ! Il est immense ! Enfin, vous avez dit que vous ne vouliez pas signer, tant pis pour vous ; je signerai seul.
Et il signa seul.
Un monsieur de l’orchestre.