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Théâtre-Lyrique

Le Figaro – Dimanche 10 février 1867

Sardanapale, opéra en trois actes et cinq tableau, paroles de M. Beck, musique de M. Victorin Joncières.

Après s’être moqué, comme on l’a fait, aux Bouffes et aux Variétés, des dieux, des déesses et des héros de la fable, c’est, je crois, se tromper étrangement que de croire le public capable de s’intéresser encore à des personnages de l’antiquité.

Un grand-prêtre parait-il, on se rappelle involontairement Calchas-Grenier trichant au noble jeu d’oie, et quand une héroïne en péplum se lamente, on s’attend à ce qu’elle gémisse sur la volonté céleste qui fait cascader sa vertu ; on voit le bouillant Achille dans tout soldat, et l’on ne comprend plus de cortége royal sans la marche de Bu qui s’avance.

Depuis que les infortunes de Ménélas nous ont fait rire, nous ne pouvons plus pleurer sur les malheurs d’Iphigénie, et il nous est impossible de prendre au sérieux ces histoires antiques, bibliques ou tragiques qui faisaient les délices deo la cour du Roi-Soleil et des pensionnaires de madame de Maintenon. Je n’ai pas à rechercher ici si c’est un bien ou un mal, mais ce qui est incontestable, c’est que la parodie a tué la tragédie. Du reste, pour ma part, j’avoue que je ne verserai pas un pleur sur sa tombe.

Je ne lui reconnais qu’une vertu à la tragédie, et c’est une vertu médicale ; elle remplace avantageusement l’opium pour combattre les insomnies. J’en ai constaté une fois de plus la puissance en écoutant Sardanapale ; et il m’a fallu une grande force de volonté pour en combattre les effets.

Sardanapale ! Quelle drôle d’idée de choisir ce sujet pour un poëme d’opéra au Théâtre-Lyrique ! Passe encore à l’Odéon, versifié par Latour Saint-Ybars ou Fulchiron ; mais quel intérêt le public peut-il trouver à la conspiration d’Arbace contre Sardanapale, aux amours de ce roi avec l’esclave Myrrha ? Quelles situations vraiment dramatiques le librettiste peut-il fournir au compositeur ? Quelles passions peut-il mettre en jeu pour l’inspirer ?

Il n’y a pas de bon livret sans situations et sans passions, et il n’y a pas de bonne partition sur un mauvais livret ; M. V. Joncières vient d’en faire l’expérience pour son début au théâtre. Mal servi par un poëme
banal, il est rarement sorti des lieux communs il n’y a, dans les trois actes de son opéra, que de rares inspirations franches, nettes, qui soulèvent une salle et entraînent tous les suffrages, et cependant partout on reconnait le faire d’un homme qui sait bien, qui a beaucoup appris, beaucoup lu et malheureusement aussi, beaucoup retenu.

Demander à un débutant l’originalité, serait injuste ; les plus grands maitres eux-mêmes, avant de dégager complètement leur personnalité, ont commencé par imiter quelqu’un. M. Joncières, lui, n’a pas de parti pris ; il est un peu de toutes les écoles ; tel passage rappelle – comme facture au moins – Rossini ; tel autre, Félicien David ; un morceau a un air de famille avec Verdi, si bien qu’en écoutant l’ouvrage entier, sans retrouver de ces réminiscences blâmables et contre lesquelles on ne saurait trop se soulever, on salue plus d’un
morceau au passage comme quelqu’un qu’on à déjà entrevu.

Du reste, je le répète, c’est là une critique que l’on peut adresser à ous les débutants, et, après l’audition d’un premier ouvrage, il est difficile de prédire si le compositeur prendra un jour son essor et deviendra un maître ou s’il restera confondu dans la foule des médiocrités, c’est-à-dire l’immense majorité.

L’interprétation de Sardanapale est assez bonne.

Le succès de la soirée a été pour mademoiselle Nïlsson. Malheureusement, le compositeur ne l’a pas très bien servie ; il y a dans tout ce qu’elle chante beaucoup de difficultés à vaincre, beaucoup d’art vocal à déployer, mais, si ce n’est un joli duo au troisième acte avec M. Monjauze, il n’y a pas un seul de ces morceaux
où l’artiste peut déployer à son aisé toutes ses qualités et tous ses moyens.

M. Monjauze se ressentait encore de l’indisposition qui l’a obligé à faire retarder la première représentation et a nécessité le relâche de mercredi. La voix était encore malade ; cependant M. Monjauze n’a pas moins fort bien dit, au premier acte, un morceau que le public a fait bisser.

MM. Cazeaux, Lutz et Laurent méritent leur part d’applaudissements.

Sous le rapport de la mise en scène, la direction n’a rien négligé pour monter Sardanapale, et le tableau final mérite une mention particulière. C’est une belle réminiscence du chef-d’œuvre de Delacroix.

Émile Cardon.

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