Par date

Théâtre des Variétés

Le Figaro – Dimanche 14 avril 1867

La Grande duchesse de Gérolslein, opéra bouffe en trois actes de MM. Meilhac et Halévy, musique d’Offenbach.

MM. Meilhac et Halévy ont parodié le vieil Homère dans la Belle Hélène et le bon Perrault dans Barbe-bleue ; aujourd’hui, ils s’attaquent au pauvre Scribe et rendent impossible à l’avenir la peinture de ces principautés microscopiques dont Scribe s’était fait presque le Picard ; mettre sur la scène les petites villes ou les petits Etats, cela se ressemble beaucoup.

La grande duchesse de Gérolstein est très probablement la fille de ce prince Rodolphe, dont les Mystères de Paris nous ont fait taire la connaissance.

A père fantasque, fille bizarre !

On pourrait même retrouver dans les ancêtres de la grande duchesse, cette fameuse Marguerite qui fait les beaux jours de la Porte-Saint-Martin ; la Grande duchesse a, en effet, des passions violentes et son cœur se livre facilement.

Une guerre va éclater quand la toile se lève ; l’armée est au grand complet et compte pour le moins trois ou quatre cents hommes ; la Grande duchesse, pour stimuler l’ardeur de ses soldats, passe une revue solennelle ; on n’attend plus qu’un signal pour courir à l’ennemi.

En passant devant le front des troupes, la duchesse se sent saisie d’admiration à la vue d’un simple soldat, le grenadier Fritz.

Elle le tire des rangs pour le regarder plus à son aise, et, en moins de cinq minutes, en fait le général en chef de son armée, le faisant monter de grade en grade à mesure qu’elle croit découvrir en lui une qualité nouvelle.

C’est que la grande duchesse est vraiment une gaillarde !

Fritz, devenu général, affublé du panache, signe distinctif de la grandeur dont la duchesse a dépouillé le général Boum. – Fritz, créé baron de Bock-Bier, comblé de tous les honneurs, se met à la tète de l’armée et la dirige vers l’ennemi.

Cependant, des témoignages aussi frappants d’une haute valeur valent des envieux à Fritz. Le général Boum est rongé par le regret d’avoir perdu le panache du commandement. Le baron Puck, grand chambellan de Son Altesse et son ancien précepteur, le prince Paul surtout ! le prince Paul, qui aspire à la main de la duchesse ; se réunissent à Boum pour conspirer sourdement contre le malheureux Fritz.

Mais le signal est donné ; l’armée s’ébranle, et la grande duchesse envoie des baisers enflammés à son nouveau général.

De ma vie je n’ai entendu rire et applaudir comme pendant ce premier acte. C’était de la frénésie, véritablement, fort justifié par les détails impayables brodés sur le canevas que je viens de vous montrer. Couder, en général Boum, a fait fureur, et ses premiers couplets ont été bissés avec enthousiasme. Quel type ! quelle trouvaille !

Au moment où elle pénètre dans le camp, mademoiselle Schneider dit une joyeuse chanson : J’aime les militaires, avec infiniment de goût et d’esprit.

Croyez-vous que mademoiselle Schneider avait peur en entrant en scène ? Voilà ce que c’est que d’être vraiment artiste !

Un des morceaux les mieux réussis de ce premier acte est la plainte de l’infortuné prince Paul, dont le mariage est remis de jour en jour.

Il tire de sa poche la Gazette de Hollande et lit à sa future les cancans débités sur ses amours malheureuses par les folliculaires de bas étage. Grenier ne chante pas, cela est bien certain, et cependant on sent tout l’esprit qui règne dans ces petits couplets ; le public a voulu les entendre deux fois.

Nous arrivons au finale. C’est une grande scène, très mouvementée, chaude et bien en couleur. La grande duchesse confie à Fritz le sabre... le sabre... LE SABRE... de son père, comme un talisman qui doit lui faire remporter la victoire. Fritz embrasse Vanda, sa bonne amie. Boum, Puck et le prince Paul sont dans un coin de la scène, menaçant l’heureux soldat de toute leur colère. Les troupes crient aux armes, on répète la chanson du régiment, le tambour bat, c’est un fracas, un vacarme à faire frémir ! et tout cet ensemble cependant est traité d’une façon irréprochable ; s’il y a beaucoup de morceaux de cette valeur dans le Robinson Crusoé qu’Offenbach a donné à l’Opéra-Comique, je lui prédis un grand et beau succès.

Voyez-vous, je trouve qu’il est souverainement arbitraire de faire certaine distinction ; il n’y a ni petite ni grande musique en fin de compte, je n’en connais que de deux sortes, la bonne et la mauvaise.

Or, ce premier acte de la Grande duchesse est rempli d’excellente musique ; peu importe si le genre est léger ; le talent est grand.

Je me suis autant étendu sur ce premier acte, parce, qu’il est de beaucoup le meilleur ; il est même trop supérieur aux suivants et écrase de son souvenir les deux qui lui succèdent.

Au second acte, nous sommes dans le château de la duchesse ; les dames d’honneur chantent les très jolies lettres que les amoureux envoient, sur un motif bien tendre et bien gracieux en même temps :

Lettre adorée,
Toute la journée,
Je te relirai !

Entre autres charmantes dames d’honneur je dois citer ici mesdames Legrand, Véron et Morosini.

Cependant Fritz vainqueur annonce son retour.

Les trois ennemis arrangent une petite conspiration à mourir de rire ; il faut tuer ce Fritz en passant par un couloir secret, on regorgera, on l’étranglera, on le massacrera ; et tout en prenant un parti aussi décisif, on rit, on danse, on se réjouit ! C’est un morceau de haut comique, développé avec une grande perfection et très bien chanté – c’est presque incroyable – par Couder, Kopp et Grenier.

Retour de l’armée et de son général. Fritz raconte comme quoi il a vaincu les ennemis après les avoir grisés d’importance, et reste enfin seul avec la duchesse, qui va lui déclarer la flamme dont elle est dévorée.

Bien que la déclaration soit des plus faciles à comprendre, Fritz ne devine pas que la duchesse lui fait des avances, et avoue maladroitement son projet de mariage avec Vanda.

A partir des couplets : Dites-lui qu’on l’a remarqué, chantés par mademoiselle Schneider avec une douceur exquise, la musique et la situation traînent un peu.

Mais combien ces couplets-là sont délicieusement amoureux ! On dirait une page tirée de la Chanson de Fortunio, et je me hâte de vous donner une bonne nouvelle au premier jour, le Figaro les publiera.

La duchesse signe au contrat de mariage de Fritz et de Vanda, mais en même temps, emportée par sa jalousie, elle autorise le meurtre de celui qu’elle adorait cinq minutes auparavant.

Le troisième tableau représente la chambre nuptiale où tout le monde entre comme dans une halle. Dix-huit conjurés arrivent ; on prend des précautions inouïes pour ne pas manquer la victime ; on va même jusqu’à faire apporter des meules pour faire aiguiser les poignards.

Le chœur chanté pendant que tournent les meules est excessivement joli, et n’a pas obtenu tout le succès qu’il mérite ; on y reviendra. Hier soir, on était déjà fatigué au moment de cette scène.

Cependant la duchesse change d’avis ; elle veut bien qu’on fasse quelques niches à Fritz, mais elle ne permet plus son massacre.

Les époux arrivent. Duo d’amour, interrompu à chaque instant par les aubades que les tambours et les musiciens donnent à leur général. Une partie de la nuit se passe ainsi pour Fritz à haranguer ses compagnons d’armes.

Il espère enfin trouver un instant de repos et d’amour quand toute la cour arrive en grand émoi :

A cheval,
Monsieur le général !

Les ennemis reparaissent ; on rapporte le sabre, le sabre, LE SABRE du père de la grande duchesse, et, sans presque avoir le temps d’embrasser sa chère Vanda, Fritz est obligé de partir pour le château de Rocapic.

Nous nous trouvons encore au camp dans le quatrième tableau. Fritz revient rossé, étrillé par le baron de Rocapic, qui l’a pris pour un amoureux de sa femme. L’œil poché, Fritz, est moins beau, bien moins beau ! Aussi la duchesse offre-t-elle le panache au baron Grog, chambellan du prince Paul, qu’elle a épousé par hasard le matin même.

Dans ce tableau, je n’ai vraiment qu’un morceau à citer ; l’air à boire qui a été bissé, plutôt encore à cause du talent de mademoiselle Schneider, qu’à cause de la musique même :

Ah quels grands verres
Avaient nos pères !

La pièce est trop longue, et il y aurait aussi quelques coupures à faire dans la partition qui, très brillante et très mouvementée au début, devient un peu monotone à la fin.

De très légers sacrifices consentis par les auteurs donneraient à leur nouvelle œuvre beaucoup plus d’éclat.

Après avoir fait cette critique de détail, il me reste à constater le très franc succès obtenu par ces habitués de la victoire MM. Halévy, Meilhac et Offenbach.

De la gaieté, de la finesse et de la fantaisie, voilà leurs plus éminentes qualités.

Avant tous et toutes, il faut citer mademoiselle Schneider, qui a composé son rôle avec beaucoup de convenance – chose nécessaire, car le personnage est assez difficile à faire admettre. La duchesse est un peu bien libre dans ses allures ! Il est impossible d’ailleurs d’avoir plus de charme dans la voix, dans le talent et dans le sourire que n’en montre mademoiselle Schneider.

Parmi les hommes, Couder a été révolutionnant, – je suis obligé d’inventer ce mot ; il est endiablé cet homme-là ! Pour éternuements, ne s’avise-t-il pas de tirer des coups de pistolet ?

Kopp et Grenier sont des plus amusants, ainsi que Baron, dans le rôle de Grog, le chambellan.

Maintenant, quelques mots de critique adressés les uns à Dupuis, qui ne me paraît pas encore bien entré dans la peau du bonhomme et les autres à mademoiselle Garait qui ne chante guère juste et qui ne joue guère plus juste qu’elle ne chante.

A part ces légers reproches auxquels il est facile de donner un prochain démenti, tout est bien et très bien même dans la Grande duchesse de Gérolstein.

Eugène Tarbé.

(...)

Par date
Par œuvre
Rechercher
Partager