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Choses du jour

Le Figaro – Dimanche 5 avril 1868

Madame Ugalde a sauvé le Brabant ! Hier, vendredi, jour de la centième de Geneviève, elle est entrée aux Menus-Plaisirs en conquérante. Son succès a été complet en tous points. Elle a apporté au rôle créé avec tant d’originalité par mademoiselle Zulma Bouffar un charme de plus du page Drogan, qui parle belge et s’habille en gendarme, elle a fait, à certain moment, un Chérubin parfait. On se sent prêt à oublier que la pièce tout entière est une gigantesque cascade, lorsque l’on entend le petit page repousser avec une tendre énergie la bourse de Geneviève et lui préférer ce que Siffroy n’a pas su prendre encore.

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Le grand mérite de madame Ugalde dans cette nouvelle incarnation est d’avoir su rester elle, d’avoir résisté aux entraînements de ce texte insensé. Drogan était la vie de la pièce ; avec elle, il en est le sentiment.

Rien de plus original aussi que les couplets de la mèche, chantés en un flamand de fantaisie qui rappelle, le latin de Molière. Malgré l’heure avancée, on les a fait bisser.

Madame Ugalde porte à ravir le costume masculin. Son embonpoint a diminué assez sensiblement depuis le temps, où dans Gil-Blas elle semblait avoir trop fait honneur aux cuisines de l’archevêque de Grenade.

Elle apporte à Offenbaçh un précieux concours. Déjà, dans Orphée aux enfers, elle avait élevé le rôle d’Eurydice à ce point que son auteur s’est cru autorisé à escalader les grandes scènes. Dans tout ce qu’elle joue, elle ajoute ainsi sa personnalité à la fantaisie du maestro, et, par son réel talent de comédienne, permet de trouver une pièce au fond de ces désopilantes folies. Ce n’est pas elle qui descend, c’est le théâtre qui monte dès qu’elle parait sur une scène. Drogan comptera dans sa carrière artistique presque autant que Suzanne et Galathée.

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On a revu avec plaisir les deux hommes d’armes Grabuge et Pitou, ébouriffants comme toujours. Madame Debrigny-Varney, qui, depuis le départ de mademoiselle Zulma Bouffar, avait repris le rôle du page, est revenue à l’emploi de confidente de Geneviève, où elle a retrouvé son succès des premières représentations.

Hier du reste, tout le monde a fait merveille. Les artistes des Menus-Plaisirs étaient comme électrisés par l’arrivée de la nouvelle recrue, et cette grande débauche d’esprit, de mélodie, de décors et de folies de toutes sortes, a repris de l’élan pour une nouvelle carrière aussi durable que celle qu’elle vient de parcourir.

C’était hier vendredi, jour néfaste, dit-on. Fort superstitieuse, madame Ugalde avait choisi ce jour, persuadée que si elle triomphait du mauvais sort, ce serait pour longtemps.

Son audace lui a réussi.

Alfred d’Aunay.

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