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La fête de la presse, à l’Hippodrome

Revue et gazette musicale de Paris – 21 décembre 1879

Au bénéfice des inondés espagnols.

On sait qu’un journal ne devant avoir qu’un seul numéro, Paris-Murcie, a paru à l’occasion de cette fête, et que, pour sa rédaction et ses illustrations, il a été fait appel aux princes de la plume et du crayon, aux têtes couronnées, aux grands hommes du jour. Paris-Murcie est une bien intéressante collection d’autographes, de dessins et d’articles humoristiques. A ces derniers nous ferons deux emprunts. Voici d’abord, à titre de curiosité, une petite étude (le mot est peut-être un peu ambitieux ?) de l’auteur de la Grande-Duchesse sur celui de Lohengrin :

WAGNER.

Ce n’est pas impunément que les musiciens parlent musique. Rien n’est pour eux aussi difficile et aussi dangereux. Leurs nerfs, délicats à l’extrême, s’irritent de peu. On ne saurait croire combien il est aisé de froisser Pierre, Paul... et même Jacques.

Que de fois n’ai-je pas vu Adolphe Adam, qui faisait en 1854 la critique musicale dans l’Assemblée nationale, se morfondre, à bout d’expédients, pour éviter de blesser ses confrères !

« Voilà où nous en sommes, me dit-il un jour. Hier, je rends compte d’un opéra comique ; je comble l’auteur de louanges, et je termine mon article par ces mots : « C’est presque un chef-d’œuvre ». Il m’écrit ce matin : « Votre article est parfait. Il n’y a qu’un mot de trop. »

« Vous croyez que c’était le mot chef-d’œuvre ? Ah ! bien oui ! c’était le mot presque ! »

Aussi me garderais-je de critiquer en quoi que ce soit nos jeunes maîtres. Quelques-uns ont un très réel talent. Combien ils en auraient davantage s’ils avaient plus confiance dans leurs propres ailes ! Tous sont paralysés par cette tête de Méduse qui leur sert d’objectif : celle de Richard Wagner.

Ils prennent pour un chef d’école cette individualité puissante. Les procédés nés avec lui mourront avec lui. Il ne procède de personne ; personne ne vivra de lui. Exemple merveilleux de génération spontanée : Richard Wagner, inscrit sur l’état civil du Mont Parnasse : « Père ! et mère inconnus », n’aura sur pas de descendance. C’est une aurore boréale que l’on a prise pour le soleil.

Ce novateur est pétri dans un limon absolument classique. Il connaît à fond les anciens, les maîtres féconds : les Händel, les Bach, et surtout les Gluck. Je l’en félicite. Sans leur rien prendre, il s’est imprégné d’eux. Wagner et ses adeptes représentent, nous dit-on, « la musique de l’avenir ». A quelle échéance placez-vous cet avenir ? Voilà bientôt trente-cinq ans que Tannhäuser et Lohengrin ont eu leur légitime succès. Où donc est leur progéniture ? Qu’ont-ils engendré ? Si Wagner était un chef d’école, son école serait en pleine splendeur. Je vois bien des compositeurs qu’il a troublés ; je n’en vois pas qu’il ait inspirés.

Non, Wagner n’est pas un chef d’école. Depuis bien des années, on a représenté sur les principales scènes de l’Allemagne de soi-disant opéras « à la Wagner ». Demandez au public quels sont les titres de ces opéras, quels sont les noms de leurs compositeurs.

On a fait exécuter à Munich, à Berlin, à Vienne, quelques opéras de Wagner, autres que ceux que j’ai nommés plus haut. Chaque tentative s’est faite au son des fanfares. Le triomphe a précédé l’œuvre ; il ne l’a pas suivie.

Don Juan a été, lui aussi froidement accueilli lorsqu’on l’a représenté pour la première fois à Vienne. L’empereur Joseph II dit à Mozart :
– Votre opéra est sublime, mais ce n’est pas une pâture qui convienne aux dents de nos Viennois.
– Laissons leur le temps de mâcher, sire, répondit le maître immortel.
Un mois après, Don Juan fut acclamé.

Je doute fort que le public ait jamais les dents assez solides pour mâcher les œuvres tombées de la plume de Wagner depuis une vingtaine d’années.

Rossini avait un véritable culte pour Mozart.
– Maître, lui demandait-on un jour, que pensez-vous de Beethoven ?
– C’est le premier de tous les musiciens.
– Et Mozart ?
– C’est le seul.

Je n’ose pas penser à la place que Rossini eût donnée à Wagner : celle sans doute que Wagner donne à Rossini.

Auber faisait un jour ses compliments à un musicien (que j’ai mes raisons pour ne pas nommer) et sur ses succès et sur sa grande facilité.
– Que voulez-vous ? lui répondit le compositeur ; je suis forcé de payer comptant. Je n’ai pas le droit de tirer sur le public à trois mois de date.

La jeune école affecte un grand dédain pour les compositeurs français, pour tous les maîtres chanteurs, les mélodistes de tous pays qui paient comptant leur popularité. C’est faire le procès de Don Juan, du Freyschütz, du Pré-aux-Clercs, de la Juive, de la Dame blanche, de la Muette, des Huguenots, de Guillaume Tell, etc... C’est condamner les adorables symphonies de Haydn, de Mendelssohn, les symphonies sublimes de Beethoven, dans lesquelles la mélodie déborde.

Il se peut, puisqu’on l’assure, que tous ces grands maîtres ne soient pas les « musiciens de l’avenir ».

Toujours est-il que depuis plus de soixante ans ces éphémères sont debout, toujours acclamés, plus grands que jamais, grâce aux contrastes, grâce surtout à ce feu divin auquel Prométhée s’est brûlé les doigts et que l’on appelle tout simplement le génie.

Jacques Offenbach.

(...)

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