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Théâtre des Folies-Dramatiques

Revue et gazette musicale de Paris – 21 décembre 1879

La Fille du Tambour-Major, opéra comique en trois actes, paroles de MM. Chivot et Duru, musique de M. J. Offenbach. – Première représentation samedi 13 décembre.

C’est la Fille du Régiment, adroitement arrangée, qui fait, en résumé, le fond de la nouvelle pièce des Folies-Dramatiques. Le vieux sergent Sulpice devient le tambour Monthabor, Mme de Birkenfeld se transforme en duchesse della Volta, et la gentille vivandière Marie ressuscite sous le coquet chapeau de Stella. Comme elle, elle sacre, elle jure, elle fait le diable à quatre ; comme elle, elle est la fille d’un jeune et pétulant Français. Ce n’est pas la première fois que nos vieux opéras comiques, retouchés, revus et diminués, ont servi pour les modernes poèmes d’opérettes.

Dans la nouvelle Fille du Régiment, nous sommes à la veille de Marengo. Les Français ont gaillardement franchi les Alpes, et voilà qu’une compagnie tombe inopinément dans un couvent de jeunes filles. Dans ce couvent est enfermée Stella, la fille du comte della Volta, et, par un singulier hasard, le beau Monthabor, le plus brillant des tambours-majors, est avec la compagnie qui est venue établir là son campement. Pour ne pas vous faire languir, je vous dirai que Stella n’est pas du tout la fille du duc ; sa mère n’est autre que la femme divorcée de Monthabor, à l’époque où celui-ci exerçait, sous le nom de Bernard, la noble profession de teinturier. Le duc est devenu amoureux de la belle teinturière, l’a épousée, et voilà comment la fille du teinlurier Bernard (alias Monthabor), se trouve avoir grandi dans le palais du duc della Volta.

Le vieux duc voudrait lui voir épouser le marquis Bambini, et les choses paraissaient devoir s’arranger dans ce sens ; mais l’amour, sous l’influence d’un bel officier français, commence ses fredaines. Stella s’éprend de l’officier et refuse net d’épouser le Bambini. Bien plus, lorsque, dans une scène de reconnaissance assez bien conduite, elle apprend que son vrai père est le beau tambour-major, elle endosse bravement la tunique de vivandière, et, sacrebleu ! elle saura bien suivre de victoire en victoire le lieutenant Robert et son brillant Monthabor.

Au troisième acte, nos trois Français sont réunis ; mais, poursuivis et traqués de tous cotés, ils se sauvent sous des déguisements ; seul Robert reste aux mains des Autrichiens. Heureusement les Français entrent à Milan, viennent le délivrer, et un bon mariage met fin à ces aventures variées.

Des ra, des fla, des drapeaux, des uniformes, quelques mots drôles, une pièce en résumé bien fuite, clans laquelle le sentimental et le bouffe se trouvent habilement distribués à dose égale, voilà de quoi faire un succès. Le public a fort bien reçu cette opérette patriotique et militaire.

Les gais couplets d’Offenbach n’ont pas peu contribué à ce bon accueil. Je dis couplets, car sans sa nouvelle partition le maëstro a évité avec soin les ensembles, les grands morceaux, tout ce qui pouvait surcharger sa partition et effrayer le public des Folies-Dramatiques ; à peine le finale du premier acte renferme-t-il quelques velléités de développements. Tous ces couplets ont les aimables qualités d’Offenbach, l’entrain, le brio et la justesse. Dire que tous sont de la plus entière nouveauté serait aller trop loin ; mais on aime à retrouver des refrains amis, et dans la Fille du Tambour-Major, on rencontre, à chaque détour de mesure, d’anciennes et aimables connaissances. Le majestueux Chant du départ, intercalé avec effet au troisième acte, forme un singulier contraste avec ces gentils et guillerets flons-flons.

Au premier acte, la chanson de l’Ane, avec son amusant rappel de la romance de Joseph et l’imitation de l’âne ; puis la romance comiquement sentimentale du petit tambour Rivolet, annoncent gaiement le défilé . La légende des « Petits Français » est un fringant 2/4 de la meilleure manière d’Offenbach ; on l’a bissée d’emblée, ainsi que la chanson du Régiment, empanachée de son refrain crâne et franc.

Au second acte, non moins de couplets et non moins de bis, prévus du reste ; bis d’habitude pour la romance de la Migraine, bis de souvenir pour le rondeau : « Ah ! vraiment, c’est bizarre », qui rappelle de bien près celui du Roi Bobèche dans Barbe-Bleue ; ter de vrai et franc succès pour le finale, avec sa jolie valse et ses couplets pleins de franchise et de gaieté. A côté des succès de cet acte, citons une gracieuse romance, le quatuor du Billet de logement, relevé par le retour du thème de 2/ 4, accompagné par les baguettes de tambours ; c’est un effet qui n’est plus neuf, mais qui plait toujours infailliblement.

Au troisième acte, on a bissé et trissé une gigue-rondeau qui a de la vivacité, du rythme, et à laquelle l’anglais de fantaisie du cocher John-Stella prête un sel tout particulier. J’aime fort le duo entre Monthabor et la duchesse, et les cadences, qui rappellent en même temps l’église et le cabaret, sont spirituelles et comiques. Les honneurs de cet acte reviennent entièrement au Chant du Départ ; écrite pour fanfare et orchestre, entonnée par les chœurs (et un peu aussi par le public), la mâle mélodie de Méhul semblait un imposant monument à côté des ingénieuses chinoiseries musicales de Jacques Offenbach.

Au résumé, succès réel : pièce amusante sinon neuve, musique gaie, sinon très fraiche.

Les Folies-Dramatiques étant devenues un théâtre de famille, c’est un billet de faire part et non un compte rendu qu’il faudrait ici. Mme Girard-Max Simon dit fort aimablement le couplet et a pris une bonne part des applaudissements de la soirée : mais pourquoi cet air triste et rêveur ? M. Simon-Max-Girard est gai et assez fin. Il aime à chanter du ventre, c’est une manière à lui : tout le monde n’en raffole pas, mais il n’a pas l’air de s’en apercevoir. Mme Girard, toujours excellente actrice et chanteuse de talent, veille en mère attentive sur les deux jeunes époux ; et on dit qu’elle prépare ses petits-enfants à de prochains débuts sur la scène où elle brille en ce moment.

M. Luco est un fort réjouissant Monthabor. M. Lepers n’est pas heureux dans la création du lieutenant Robert ; il est prétentieux et lourd. Tous nos compliments à la jolie vivandière Vernon, qui chante avec autant de crânerie que de gentillesse ses couplets délurés.

H. Lavoix fils.

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