Par date

Notes de musique

Le Gaulois – Jeudi 8 octobre 1868

Variétés. – La Périchole, opéra-bouffe en deux actes, par MM. Meilhac et Halévy, musique de M. Offenbach.

Enfin, me disais-je hier soir, je vais donc pouvoir venger Offenbach des dédains de mon très cher confrère Louis Leroy. Ce jacquophobe s’écrie presque chaque jour : Offenbach est aux Bouffes ! place aux jeunes ; Offenbach est reçu aux Variétés ! cet enfant fera son chemin, Offenbach ci ! Offenbach là. Décidément, il est absorbant !

Et, cependant, cher maître, il n’a pas encore songé à mettre en musique le Chemin retrouvé. Allons, bon ! si cela allait lui en donner l’idée ; ce jour-là je vous demanderais encore, pour une fois seulement, votre indulgence, et vous céderiez à mon amitié, j’espère, malgré vos goûts et vos devoirs.

Pourquoi le cacherais-je ? J’aime beaucoup la musique d’Offenbach. Sa cuisine est faite proprement et d’une façon appétissante, soit qu’il nous serve un ragoût nouveau, soit qu’il réchauffe un plat de la veille. La muse du maestro est vêtue d’une robe de moire aux tons changeants ; c’est toujours ]a même robe, mais ce n’est jamais le même reflet. Est-ce un défaut ? ma foi non, ce n’est jamais un tort d’être riche, et je connais tel compositeur qui serait bien embarrassé de se voler lui-même. Et puis, Offenbach a un grand bon sens, celui de s’avouer que jamais bonne musique n’a sauvé mauvaise pièce, et un grand talent, celui d’en trouver de bonnes ; son association avec Meilhac et Halévy en est la preuve.

Cependant, pourquoi faut il être obligé de dire aujourd’hui à ces messieurs qu’ils se sont trompés en empruntant le sujet de leur scénario Prosper Mérimée. Telle donnée qui intéresse dans un livre et paraît vraisemblable, peut choquer sur la scène. Dans le livre, l’action suivie, les caractères fouillés, la logique des faits amenant telle ou telle situation, forcent à accepter la pensée de l’auteur ; mais, sur la scène, le fait brutal s’étale brutalement, et tandis que dans le premier cas on juge parla cause, dans le second cas on ne juge que par l’effet, et cette fois-ci, l’effet est peut-être un peu raide.

La Périchole, aime Piquillo, mais elle aime autant qu’aiment les femmes, juste assez pour tromper son amant. La pauvreté est là, traînant à sa suite la faim et la fatigue, et, effet physiologique encore peu étudié par les savants, tandis que la misère élargit le cœur de l’homme, elle rétrécit celui de la femme.

Le vice-roi du Pérou, en se promenant par les rues de Lima, déguisé en docteur, rencontre la pauvrette endormie sous un porche, et reçoit le coup de soleil que nous appellerons la photographie de l’Amour, épreuve altérable. Il montre des piastres ; elle cède à la convoitise, à la faim, écrit une lettre d’adieu à son Piquillo, et lui laisse un morceau de son cœur, – non, – de son or. Puis, tandis qu’elle se grise à la table royale, Piquillo désolé se pend mais tranquillisez-vous, il est dépendu assez à temps pour épouser, sans le savoir, la Périchole, qui ne peut prendre son rang de favorite qu’à la condition d’être mariée.

Le premier acte roule tout le temps sur cette unique situation : une femme qui tâche d’établir une juste balance entre son mari et son amant ; qui dit au premier : « Ne te plains donc pas, imbécile, je t’aime, et nous avons de l’argent ! » et qui répond au second : « Tranquillisez-vous, j’arrangerai la chose. » Elle n’aime ni l’un ni l’autre, n’a d’amour que pour les diamants et le luxe, et n’attache ni par ses passions ; ni par ses souffrances, ni même par son infamie. Cette situation a le désavantage de n’être pas neuve ; elle est connue et pas seulement amus...ante. Le mari complaisant se réveille à la fin, au bout d’une heure, et fait acte d’autorité, mais trop tard pour le public impatienté par cette situation pénible qui, comme je le disais l’autre jour, est une de celles qui ne peuvent se supporter au théâtre qu’à la condition d’être effleurées. Dans le second acte, il faut couper beaucoup et atténuer un peu.

Mais la musique, s’est-elle ressentie de ce contre-temps ? Oui, quand elle suit la pièce ; non, quand elle est à côté ; chansons et chœurs à boire, boléros, séguedilles, chansons épisodiques nous ramènent le vrai et franc Offenbach ; les finales, les morceaux dans l’action, nous présentent un maestro gêné dans ses entournures et ses sentiments. Il n’y avait qu’un musicien qui pût réussir admirablement à dépeindre cette situation, mais ce musicien est depuis longtemps retiré dans un fromage !

Le premier acte commence sur une ouverture très courte, ce qui prouve bien que le maestro se trouve embarrassé, et par un chœur de buveurs, suivi d’un motif de valse dialoguée et chantée par trois cabaretières, toutes trois cousines.

L’entrée du vice-roi est assez gaie ; il est déguisé en docteur et court à la recherche de la vérité. Comme il est seul à croire à son incognito, il ne la trouve guère, malgré cette prétention.

Je vais, je viens, je me faufile
Incognito.

Tel est le refrain des couplets très réussis qu’il chante à ce moment.

Puis viennent Piquillo et Périchole qui chantent deux duos de suite dont le deuxième intitulé

Le muletier et la jeune personne

est une séguedille ravissante que le Gaulois offrira dans un de ses prochains numéros à ses lecteurs. La lettre, sœur jumelle de la lettre de Metella, est fraîche et d’un tour mélodique très-heureux. Elle pourra servir de modèle à bien des femmes embarrassées. En voici les quatre premiers vers :

O mon cher amant, je te jure
Que je t’aime de tout mon cœur ;
Mais, vrai ! la misère est trop dure
Et nous avons trop de malheur.

Rendons hommage aux deux notaires, agents du mariage. Ils sont, d’un bon grotesque.

Mais nous voici à la scène la plus scabreuse qui termine la première partie du premier acte, car il semble finir plusieurs fois, ce premier àcte ! et cela encore est un défaut. La Périchole entre grise en scène.

Mlle Schneider s’en est tirée à son grand honneur et avec un tact parfait qui a été récompensé par un bis unanime.

Je suis un peu grise,
Mais, chut ! faut pas qu’on le dise.

Puis, après, vient un finale qui ne finit pas encore l’acte, et, enfin, la reprise du premier morceau sur lequel se fait le défilé de la noce.

Au deuxième acte, la toile se lève sur un chœur de femmes moqueuses et jalouses qui plaisantent Piquillo en chantant :

Eh bonjour, monsieur le mari,
Qu’avez-vous fait de votre femme ?

Ce petit morceau, peut-être le meilleur et le mieux inspiré de tous, eût un grand succès sans le zèle immodéré de la claque, qui a failli gâter tout dès le commencement. Ne s’est-elle pas avisée de vouloir faire un succès à un motif joué en sourdine dans l’ouverture, motif qui passait complètement inaperçu pendant le brouhaha d’une première installation. Que diable, messieurs les Romains, contentez-vous de voir un bœuf là où y a un œuf, mais n’applaudissez pas de souvenir, vous faites trop voir la ficelle !

La perle de la partition est un petit trio épisodique pour voix d’hommes dans lequel tout est réussi, paroles et musique.

Les femmes, il n’y aura que ça
Tant que la terre tournera.

Puis vient la présentation à la Cour. La Périchole a là des couplets assez ordinaires, et pour les relever Mlle Schneider a inventé de pousser un beuglement tellement hideux qu’on a pu se croire, un instant, aux courses de taureaux du Havre. J’ai fait assez de compliments tout à l’heure à l’artiste pour me permettre de blâmer la cascadeuse maladroite qui par un mauvais goût incroyable et un entêtement à répéter, au second couplet, ce même cri, a compromis le succès d’une pièce tout entière, et n’a pas respecté la longanimité du public pour ses espiègleries de jolie femme et de femme applaudie. Je suis d’autant plus appelé à regretter ces ravages, que je suis convaincu, qu’échenillé, le talent de Mlle Schneider serait le moins incontesté dans le genre bouffe.

A partir de ce moment, tout a été à la débandade, les acteurs démoralisés ont raté leurs effets. Les scènes les plus drôles prennent une tournure lugubre, lorsque le public est démoralisé ou froissé. Un duo charmant entre le roi et la Périchole, qui eût dû être et sera très remarqué, n’a produit aucun effet et n’a presque pas été écouté. Le public s’est même fâché un instant. Le roi Grenier ayant fait un calembour assez mauvais, le public a protesté. Grenier a dit alors une phrase dans ce genre : « Tiens, ils le reçoivent mal ; les autres jours j’en fais d’aussi mauvais et ils applaudissent. » Plusieurs personnes ont cru que cela s’adressait, au public. Ceci est une erreur malheureuse, car j’ai lu moi-même la phrase, tout au long dans le rôle.

Donc, taillez, coupez, émondez, faites trois actes des deux, si cela se peut, et laissez faire les artistes ; les éléments sont bons, la chevelure est épaisse, il faut passer le peigne : Grenier sera charmant ; il a chanté déjà ses couplets avec désinvolture et grand succès. Christian et Lecomte sont amusants dans des rôles épisodiques. Pourquoi Blondelet s’entête-t-il à jouer la comédie. C’est drôle, on dit qu’il a du talent comme auteur. Un compliment banal à chacune des petites dames qui forment un bouquet agréable à l’œil.

Eugène Tarbé.

Par date
Par œuvre
Rechercher
Partager