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Chronique théâtrale

Le Temps – Lundi 12 octobre 1868

Feuilleton du 12 octobre

Les Variétés ont enfin donné la Périchole, de MM. H. Meilhac et Ludovic Halévy pour les paroles, du maestro Offenbach pour la musique

Il se produit à toutes les premières représentations des pièces dues à la collaboration de ces messieurs, un phénomène bizarre, qui se renouvelle chaque fois. Le public y arrive avec les meilleures dispositions du monde. Il semble que chacun se soit dit d’avance : « Mon Dieu ! que je vais m’amuser ce soir ! Il faut absolument que je m’amuse ! » C’est une rage pour se procurer des billets ; on montrerait moins d’empressement s’il s’agissait d’une comédie en cinq actes d’Emile Augier ou de Dumas fils. Les fauteuils d’orchestre montent à des prix extravagants, et on se les arrache.

La salle tout entière est émue, et vibre comme à l’attente d’un chef-d’œuvre. Elle se met de moitié dans l’opérette qu’elle va voir. Un roi se présente, et dit une bonne grosse bêtise. Le public éclate de rire ; il se tord. Il voit là-dessous un million de choses, où l’auteur n’avait point songé. Ce n’est pas une simple farce ; c’est une satire ingénieuse et bouffonne de la tyrannie. Un courtisan ôte son chapeau ; la salle est aux anges ! que d’esprit, ce Meilhac ! comme il tourne agréablement en ridicule les sottes flagorneries des valets de cour. Le moindre bout de mélodie qui passe, un nouveau costume qui entre, un vieux calembour, une tape sur l’épaule, un coup de pied, tout est applaudi avec transport. On se récrie, on bat des mains, on aspire avec joie ce qui va suivre.

Peu à peu cette grande animation se calme ; on se regarde étonnés, inquiets, interdits les uns et les autres. – « Eh mais ! cela n’est pas si drôle que nous avions pensé ! » La température baisse insensiblement dans la salle, les scènes succèdent aux scènes, et le public, désespéré de l’ennui qu’il sent venir, se raccroche par intervalles à quelques plaisanteries qu’il rencontre ; il s’efforce à rire ; mais le goût n’y est plus. Le découragement s’en mêle, puis la mauvaise humeur : « Ah ça ! mais, c’est une déception ! on n’a pas le droit d’être insupportable comme cela ! leur genre est usé, fini. » On ne se retient de siffler que par cet excès d’indulgence que tous les publics des premières représentations gardent toujours au fond du cœur pour leurs artistes favoris, même alors qu’ils se sont trompés. On sort du théâtre, fatigué, et se disant : cela disparaîtra de l’affiche dans huit jours. On apprend avec surprise trois jours après que la chose se relève tout doucement ; elle finit par se jouer deux cents fois de suite, et fait ensuite son tour du monde.

Ce fut l’histoire de la Belle Hélène, de Barbe-Bleue, de la Grande-Duchesse. C’est également celle de la Périchole, sauf le dénouement, bien entendu, que je me garderai bien de prévoir. Un homme du monde m’a dit un mot significatif : « Cette fois les gandins ne sont pas contents. » Funeste présage ! Aux autres pièces de ce genre, tandis que nous tous, journalistes, hommes de lettres ou simples bourgeois, nous sortions déçus et irrités de la première représentation, il paraît que messieurs les gandins s’en allaient fredonnant Bu qui s’avance ou Dites-lui, et disaient à leurs amis du club : «  : Vous savez ! il faut aller voir ça ! » Les amis du club y allaient, et comme en ce genre d’ouvrages la mode est tout, ils en décidaient aussi souverainement que s’il se fût agi de la forme d’un chapeau ou de la coupe d’un gilet. Le troupeau des moutons de Panurge se ruait à la suite.

L’Europe et l’Amérique se fussent bien gardées de ne pas rire à l’instar de Paris. De toutes les supériorités que nous possédions autrefois, nous n’avons conservé que la royauté de la mode. Mais nous l’avons encore. C’est nous qui donnons le ton au reste du monde pour les frivolités du goût ; c’est nous qui réglons ce que doivent porter les femmes, et de quoi les hommes doivent s’amuser. Cette influence nous est si bien restée tout entière, que les plaisanteries essentiellement parisiennes, celles qui ne peuvent être comprises qu’entre le boulevard Montmartre et la chaussée d’Antin, font rire à New-York et à Lima. On a joué la Grande-Duchesse et la Vie parisienne, dans l’univers tout entier, comme on faisait jadis du répertoire de Scribe, au Japon, en Australie, en Cochinchine, dans les pays les plus extravagants.

La Périchole aura-t-elle la fortune de ses aînés ? Je suis retourné hier voir la quatrième représentation. Les auteurs ont coupé de toutes parts, et la pièce marche aujourd’hui plus allègrement. Il me semble pourtant que l’orchestre est resté singulièrement froid, et l’orchestre est le quartier général de messieurs les gandins. Mlle Schneider elle-même n’a déridé que de loin en loin un public ombrageux et défiant. J’entendais de tous côtés dire autour de moi : « Trop long ! tout cela est inutile ! » Mais, diantre ! savez-vous bien que si l’on retranchait tout ce qui est inutile, il ne resterait plus grand’ chose !

Ces sortes de pièces ne sont qu’une succession de petits tableaux qui, tournant autour d’une idée générale, et la présentant sous diverses faces au public, ont en même temps l’avantage d’offrir au compositeur des lieux de repos où sa musique ait la place de s’étendre. C’est un genre comme un autre, plus difficile même que bien d’autres ; car il doit se soutenir, sans le moindre intérêt d’action, à force d’ingéniosité et d’imprévu. Mais vous comprenez, qu’à la première représentation surtout, il suffit de deux ou trois scènes manquées ou languissantes pour jeter un froid sur le reste. Rien n’avertit les auteurs qu’ils font fausse route. Quand une pièce est construite sur un plan arrêté, on peut, avec un certain esprit de logique et une grande connaissance du théâtre, prédire que telle scène ne rentrant pas exactement dans le sujet ennuiera le public. Mais ici, nous nageons en pleine fantaisie : qui sait si le tableau dont on demande la suppression n’est pas précisément celui qui ira aux nues ? Affaire de mode, et qui dit mode dit caprice.

Le premier acte de la Périchole était assez heureux. C’est fête au Pérou, et le roi du pays a eu l’idée de se déguiser pour se mêler aux groupes, interroger ses sujets, et savoir la vérité. Ses ministres ont disposé sur son passage des affidés qui ne lui répondront que par des éloges de son gouvernement. Le roi flaire la ruse, et à chaque fois qu’il prend un de ses complimenteurs la main dans le sac, il s’écrie douloureusement : « Mon Dieu ! qu’il est difficile de savoir la vérité. »

La plaisanterie est assez drôle. Elle n’a pourtant pas produit tout l’effet qu’en attendaient les auteurs. Je crains que les bouffonneries sur les cours n’aient fait leur temps, et ne soient un peu usées. Barde-Bleue et la Grande-Duchesse semblent avoir épuisé toutes les railleries que le sujet comporte. Peut-être aussi notre patience est-elle à bout : c’est l’histoire du pâté d’anguilles.

Il ne faudrait pas croire d’ailleurs que tout ce commencement ait le moindre rapport avec ce qui va suivre. Toute la pièce est dans l’amour d’un roi pour une chanteuse des rues, qui aime un certain Piquillo, guitariste de carrefour. Vous voyez la liaison des idées : un roi, des chants, une rue. On part de là ; il faut que le roi se promène à travers les rues, dans une fête, pour y rencontrer la Périchole. Qu’y faisait-il ? C’est là que les librettistes donnent carrière à leur fantaisie et font de la place au compositeur : ce roi cherchait la vérité.

L’arrivée de la Périchole et de son amant forme un autre tableau. Ils ont beau chanter et tendre le dos de la guitare aux gros sous : on les paie en monnaie de singe. Ils meurent de faim ; la Périchole se couche sur son vieux tapis, mettant là en pratique l’antique précepte, qui assure que qui dort dîne. Piquillo va chercher fortune à travers la fête.

La rencontre du roi et de la Périchole forme le troisième tableau. Nous assistons ensuite au désespoir du pauvre Piquillo, qui, n’ayant pas un maravédis, et ne retrouvant plus sa maîtresse, veut se pendre. Il monte sur un escabeau, s’attache la corde au cou, et, les préparatifs terminés :

« Il n’y a plus maintenant qu’à pousser l’escabeau : oui, mais c’est la chose délicate, oh ! c’est la chose délicate. Il faut cependant pousser l’escabeau ! »

Il en est là de ses réflexions quand un homme arrive tout courant, renverse l’escabeau, sans prendre garde, et voilà mon Piquillo qui reste suspendu. On le secourt, on le rend à la vie, et son premier mouvement en rouvrant l’œil est de s’écrier furieux : « Ah ! ça, quel est l’imbécile qui a donné un coup de pied dans l’escabeau ? »

Cet imbécile, c’est le conseiller du roi, à qui son souverain a ordonné de trouver, dans les dix minutes, un mari à la Périchole ; car l’étiquette défend qu’on introduise au palais une femme qui n’aurait pas de chaperon. Ce mari, le voilà ! ce sera ce garçon qui se pendait. Encore vaut-il mieux être marié que pendu ! On propose la chose à Piquillo, qui se fait tirer l’oreille. Il ignore celle qu’on veut lui donner pour femme, et il aime la Périchole. La Périchole, de son côté, fait des objections : elle aime Piquillo, et ne se doute guère que c’est précisément lui qu’on veut lui donner pour époux.

On les grise l’un et l’autre pour endormir leurs scrupules. Mais tout en les grisant, le roi et ses conseillers s’enivrent, et tout ce monde arrive titubant sur la scène. C’est le dernier tableau du premier acte. C’est celui qui, le premier soir, a commencé la débandade, et, hier même, je n’ai pas vu qu’il fît grand plaisir, bien qu’on en ait fort abrégé les préparatifs. Passe encore pour le roi, sa cour et Piquillo ! Mais voici que Mlle Schneider se présente en costume de mariée, couronne d’oranger à la tête, les yeux allumés et la démarche chancelante. La plaisanterie a paru un peu forte.

Ce n’est jamais un spectacle bien agréable que celui d’une femme ivre. Une légère pointe de vin aurait suffi. Mais non, les auteurs ont voulu qu’elle se tînt à peine sur les jambes. Il faut rendre justice à Mlle Schneider. Elle a sauvé cette scène avec un art exquis. Elle a gardé, même dans l’ivresse du peuple, une mesure étonnante, et elle a chanté à ravir de fort jolis couplets dont le sens est qu’elle est grise, mais qu’il n’en faut point parler. Je suis convaincu que toute autre, à sa place, eût été, ce soir-là, impitoyablement sifflée. La situation déplaisait, et il faut bien que ce sentiment soit fort puisque, même à la quatrième représentation, ces couplets, d’une facture charmante et dits avec une grâce inimitable, ont laissé le public froid. Nous les avons fait bisser le premier soir ; hier, la claque seule a battu des mains. Mais ce n’est pas la faute de Mlle Schneider.

Plût à Dieu qu’elle eût joué tout son rôle avec cette même discrétion ! Son vrai mérite, le plus incontestable, c’est de porter la distinction et l’élégance dans l’expression vive des sentiments libertins ; mais quand elle se livre aux excentricités d’une cascadeuse de second ordre, elle tombe au dessous du médiocre. Le public de la première représentation le lui a durement fait sentir : dans un des couplets qu’elle chante au second acte, elle avait introduit un ah ! qu’elle tenait sur une note gutturale, dont le timbre était extrêmement populacier. Il y a eu dans toute la salle un mouvement de répulsion ; elle s’en est aperçue, a rougi sous son fard ; mais, en vraie enfant gâtée qu’elle est, elle a poussé une seconde fois le même cri, comme si elle nous eût défiés. Ah ! dam ! cela a jeté un froid, mais un froid ! Elle fera bien de n’y pas revenir, et aux représentations suivantes, elle n’y est pas revenue.

Où elle est excellente encore, c’est quand elle exprime la tendresse de l’amour véritable. On affecte trop souvent de prendre Mlle Schneider pour une excentrique ; et c’est elle-même qui, en forçant sa nature, a contribué à répandre cette idée fausse. Il est si rare que les artistes se connaissent et poussent dans le sens de leurs qualités naturelles ! Elle est comédienne, et sa voix chaude, dans les endroits passionnés, me rappelle Mme Ugalde. Songez comme elle chantait son Dites-lui dans la Grande-Duchesse. Elle a, dans la Périchole, une lettre à dire qui est la traduction en vers de la fameuse épître de Manon Lescaut à Desgrieux. « Mon cher amour, je t’adore et je te quitte ; car c’est une vilaine mort que de mourir de faim ; et je ne veux pas rendre le dernier soupir, en croyant pousser un soupir d’amour. » Offenbach a composé sur de jolis vers une musique aimable, tendre à la fois et légère, et Mlle Schneider en a détaillé les grâces avec un charme qui a enlevé la salle. Nous ne saurions trop lui recommander de ne pas s’abandonner elle-même au mauvais goût, où la sollicitent des publics moins délicats. Elle verse aisément dans le bas ; elle a, si ces deux mots ne hurlent pas de se voir accouplés, des mignardises de trivialité qui blessent les connaisseurs. Il lui serait si aisé de se laisser aller à sa nature et d’être excellente !

Nous nous attendions que le second acte nous montrerait la Périchole bouleversant tout chez le vieux roi, soumettant la cour à ses caprices les plus fantasques, jetant l’imbécile à la porte pour couronner Piquillo ; je ne sais pas, moi ? Mais enfin, nous espérions quelque chose à la suite de ce premier acte, qui avait mis une chanteuse des rues sur le trône. Nous avons été cruellement déçus.

Le compositeur est resté debout ; quelques-unes de ses inspirations les plus heureuses se trouvent précisément dans cet acte, et notamment un chœur des dames du palais, qui saluent ironiquement l’époux de la favorite, et le prient de porter leurs compliments à madame. Mais les auteurs se sont dérobés. Rien de plus vulgaire, comme idées de tableaux, que ce qu’ils ont trouvé, et le dialogue même n’a pas de ces saillies auxquelles nous avaient habitués Barbe-Bleue et la Grande-Duchesse. C’est à peine si dans ces trois quarts d’heure on trouverait un seul mot spirituel ; il est vrai qu’il a beaucoup fait rire.

Piquillo, averti par l’accueil ironique de la cour, s’est aperçu du rôle qu’il jouait, et il cherche querelle à la Périchole, qui s’efforce de le dissuader. Elle n’accordera jamais rien au roi, et fera la fortune de son amant.

« Je sais bien, répond Piquillo : mais, vois-tu, je ne peux pas : c’est pour les camarades. »

Cela est très fin tout ensemble et très inattendu. La salle est partie de rire. Mais voyez que j’en suis réduit à pêcher un mot dans cette pièce, qui dure toute une soirée. Nous ne pourrions pas les compter dans : Un Monsieur qui suit les Femmes, un vieux vaudeville qu’on nous rendait ces jours derniers au Gymnase, pour la rentrée de Ravel.

Plus j’observe ce qui se passe, plus je me persuade que ce genre de grandes bouffonneries à spectacles, coupées de musique, est sur son déclin. Il ne restera de toute cette effervescence que l’opérette en un acte, qui, au fond, n’est autre que notre ancien vaudeville à couplets, avec timbres nouveaux. Allez voir aux Bouffes-Parisiens l’Ile de Tulipatan, de Chivot et Duru, cela est excellent, et vaut le meilleur vaudeville du temps passé. Quand la fantaisie grotesque arrive à ce degré de drôlerie, il n’y a plus de comptes à lui demander. Il faut s’exécuter, en dépit qu’on en ait, et rire sans arrière-pensée.

Mais l’homme est-il fait pour rire quatre heures de suite, sans interruption et sans motif ? Est-il possible de soutenir ces extravagances durant trois ou cinq actes, [1] La chose a réussi, je le sais, et le Chapeau de paille d’Italie est demeuré le type de la bouffonnerie continue, se renouvelant à chaque acte, par des tableaux qui n’ont d’autre rapport les uns avec les autres que le lien faible et lâche d’un même objet qu’on cherche tout le temps.

Le Chapeau de paille d’Italie, transformé par l’intervention de la musique, s’est changé en ces parodies de l’antiquité et du moyen âge, qui aboutissent à présent à la Périchole. Je crois que le moment est venu de la décadence.

Hervé, avec ses folies abracadabrantes, me semble avoir dit le dernier mot. Il tuera Meilhac, Halévy et Offenbach, comme Robespierre a guillotiné Danton, comme Hébert a passé Robespierre. Mais il me semble qu’après lui, il faudra tirer l’échelle. L’Œil crevé me paraît déjà être le comble de l’extravagance. Que sera-ce du Chilpéric, qu’on nous promet ? En somme, je ne me mêlerai point de prédire les destinées de la Périchole. J’en regarderai le triomphe ou la chute définitive d’un œil fort détaché. Au fond, tout le monde sent que ce genre n’en a plus pour bien longtemps à vivre. Il est assez indifférent que le caprice du public lui donne encore de temps à autre un regain de succès.

Il me paraît évident aussi que les auteurs eux-mêmes se sont fatigués. Nous n’avons retrouvé dans les deux actes de cette nouvelle pièce, ni la fantaisie de l’homme qui a fait autrefois avec Crémieux la Chanson de Fortunio et Croquefer, ni la grâce piquante de l’écrivain qui a écrit Fabienne et les deux premiers actes de Fanny Lear.

Offenbach a mieux résisté : il m’est bien difficile, parlant de la Périchole avec tant de détails, de ne pas toucher deux mots de la musique. J’en demande pardon à mon collaborateur M. Weber, dont mes opinions, celles d’un simple amateur, n’engagent pas le jugement : il est clair que s’il lui plaît de revenir sur cette partition, c’est lui qu’il faudra écouter de préférence. Je ne serais pas éloigné de croire qu’Offenbach est en progrès. A travers les réminiscences, qui se lèvent à chaque pas dans la Périchole, on distingue quelques motifs charmants et d’une facture vraiment distinguée. Il y a au second acte un joli chœur, que j’ai déjà signalé : c’est de très bon opéra-comique. La lettre que lit la Périchole sera dans peu sur tous les pianos. Je n’aime pas beaucoup, bien qu’on les fasse bisser tous les soirs, certains couplets de Dupuis sur les femmes : cela est vulgaire, et bon seulement pour le gros public. Une parodie fort gaie de chansons, que l’on débite sur les places publiques :

Il grandira, car il est Espagnol !

est déjà dans toutes les mémoires et j’entendais, à la sortie du spectacle, tout le monde la fredonner entre les dents.

La part des acteurs est moins grande qu’elle n’a jamais été dans les bouffonneries de ce genre : j’ai déjà parlé de Mlle Schneider. Dupuis est amusant, bien qu’il ait une propension à ralentir tous les mouvements de scène. On le voit trop de loin qui prépare son effet, qui retient son mot avant de le lancer. L’inconvénient est médiocre quand la scène réussit ; mais si par hasard la salle est de mauvaise humeur, on risque de l’agacer encore plus avec ce système.

Grenier joue avec beaucoup d’étude le rôle d’un souverain imbécile et paillard. Il ne peut pas tirer grand’chose d’un personnage qui n’est pas bon. Une particularité de son rôle est à signaler, car elle montrera à ceux qui étudient le théâtre de quelles minuties se compose parfois le succès d’une scène.

Tous les courtisans, furieux contre la Périchole, se sont entendus pour faire mauvaise mine au roi, et lui rendre la vie dure. Il est donc convenu qu’on le servira mal, qu’on ne rira plus à ses plaisanteries, qu’on le tourmentera de cent façons. Justement ce bonhomme de prince se met à table, et, au premier plat qu’on lui sert, il hasarde un calembour « « Ce potage a bonne mine ; ce n’est pas étonnant, au Pérou ! » Là-dessus, tous les courtisans restent silencieux et cois.

Les auteurs avaient espéré que le public éclaterait de rire, et que la froideur de la cour augmenterait encore l’hilarité par le contraste. Mais point nous n’étions pas en train de rire, et le calembour nous semblait aussi mauvais qu’à personne. Un froid de mort passe sur la salle. Grenier, continuant son rôle, ajoute « Tiens ! ils ne rient pas ! J’en ai fait pourtant de plus mauvais qui avaient beaucoup de succès ! » Silence général sur la scène et dans le public. Le moment a été pénible pour tout le monde.

J’étais curieux de voir si l’on avait supprimé la scène, ou comment on l’aurait changée. Un simple détail modifié, et elle est devenue très comique. Au moment où le roi lance son calembourg, tous les figurants, au lieu de baisser la tête, sans rien dire, poussent tous ensemble un oh ! d’ironie et d’indignation.

Vous sentez ce qui arrive : ils préviennent l’opinion du public, ils l’empêchent de la manifester. Et quand Grenier ajoute : « J’en ai fait de plus mauvais, » il suffit que les courtisans jettent une exclamation qui signifie « Sans doute ! mais les temps sont bien changés, » pour que la salle éclate de rire.

Les autres rôles d’hommes sont joués fort convenablement par Christian, Lecomte et Blondelet. Autour d’eux se trémousse un bataillon de jolies femmes : Mlles Julia, H. Legrand, Carlin, Cécile Renault, je ne cite que celles qui sont connues sur le pavé de Paris.

(...)

Francisque Sarcey.

[1Sic.

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