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Semaine théâtrale

Le Ménestrel – Dimanche 11 octobre 1868

(...) VARIÉTÉS : la Périchole, opérette en deux actes de MM. Meilhac et Ludovic Halévy, musique de M. Offenbach. (...)

El maintenant attaquons l’événement de la semaine musicale. A vrai dire, l’événement menaçait de tourner en accident ; il y eut des chuts, voire même des sifflets, vers la fin de la Périchole. Des sifflets pour Offenbach, dans un de ses théâtres à lui ! dans le théâtre où ont triomphé la Belle Hélène, Barbe-Bleue, la Grande-Duchesse !... Mon Dieu, oui ! le respect s’en va. — Mais que les âmes sensibles se rassurent ! une œuvre sérieuse en mourrait peut-être ; vous verrez que la Périchole, moyennant quelques coupures aux scènes qui ont paru longues, et l’échenillement de quelques effets de mauvais goût qui ont choqué, se relèvera gaillarde et fournira carrière aussi bravement que ses aînés.

Ce nom si bizarre de Périchole fut d’abord le nom d’une comédienne et devint un emploi : en Espagne et dans les colonies espagnoles, on jouait les Périchole comme ici les Dugazon. Dans le Théâtre de Clara Gazul, M. Mérimée a donné ce nom « la Périchole » à un des personnages d’une saynète intitulée : le Carrosse du Saint-Sacrement. Chose étrange ! on a commencé par la parodie : Déjazet et Levassor jouèrent, en 1835, une Périchole burlesque, inspirée de la saynète de Clara Gazul. En 1850, Augusline Brohan, Got et Brindeau, ont joué au Théâtre-Français un petit acte intitulé le Carrosse, qui n’était autre que cette saynète, retaillée par M. Mérimée lui-même. Maintenant nous revenons à la parodie. Il va sans dire que MM. Meilhac et Lud. Halévy, en reprenant le sujet, l’ont flanqué de tous les hors-d’œuvre et assaisonné de tous les piments de la bouffonnerie à la mode.

En deux mots, sachez que le vice-roi du Pérou, vaguant incognito dans les rues de Lima comme un autre Haroun-al-Raschid, tombe amoureux fou d’une chanteuse des rues, la Périchole ; celle-ci, crevant de faim, consent à se laisser mener au palais ; et comme le cérémonial de la cour défend d’y donner un appartement à une femme non mariée, on cherche et l’on trouve un autre meurt-de-faim de l’autre sexe, qui, après un copieux dîner, consent à épouser la maîtresse du roi. C’est une des situations de la Favorite, et les auteurs en conviennent en parodiant une scène de Donizetti. Mais il se trouve que cet homme est l’ancien compagnon de la Périchole, amoureux et aimé d’elle. Dès avant la faute, celle-ci se repent et déclare au vice-roi qu’elle veut retourner avec son époux chanter dans les rues. Les présents dont on l’accable l’en dispenseront.

Voilà le plus gros d’un livret qui en vaut tant d’autres, et qui n’a été compromis que par quelques détails de la mise en œuvre. Citons les morceaux les plus remarqués de la partition : la valse dialoguée des trois cabaretières, les couplets de l’altesse en incognito, la seguidille [1] chantée à frais communs par les deux artistes de la rue, puis la lettre où la Périchole annonce sa trahison à Piquillo ; les vers en sont imités de la fameuse lettre de Manon Lescaut au chevalier Des Grieux :

O mon cher amant, je te jure
Que je t’aime de tout mon cœur ;
Mais, vrai ! la misère est trop dure, etc.

Puis il y a d’autres couplets de la Périchole : « Je suis un peu grise, mais chut !... » que Mlle Schneider a chantés et mimés avec un talent curieux. Au deuxième acte, un chœur de femmes très-joli, qui a été bissé, une ronde qui a obtenu la même faveur, et que Dupuis enlève à toute verve. « Les femmes ! il n’y aura que ça, tant que la terre tournera. » Puis vint une chanson où Mlle Schneider crut faire merveilles en y poussant une espèce de grognement hideux, à faire reculer Thérésa en personne ; elle récidiva, malgré le blâme du public, qui dès lors persista dans sa mauvaise humeur. De pitoyables calembours la redoublèrent, et Grenier, l’excellent bouffe, dit à ce moment : « Qu’est-ce qu’ils ont donc ? J’en ai souvent lancé de moins bons, et ils se tordaient. » On dit que le texte de la comédie porte en effet ces mots, adressés par le vice-roi à ses courtisans. Soit ! mais en tout cas l’à-propos était parfait. En vérité, les calembours de la Belle-Hélène ne valaient pas mieux, et lorsqu’on se souvient des transports de joie excités par la parodie du trio de Guillaume Tell, compliquée d’un ignoble cancan ; lorsqu’on se souvient du succès de Thérésa dans les salons les plus aristocratiques, et de tant d’autres incidents bizarres du dilettantisme de ces dernières années, on comprend que MM. Meilhac, Lud. Halévy, Offenbach, voire même Grenier, Dupuis et Mllo Schneider, se montrent surpris de cet accès inattendu de puritanisme de la part du public. Mais je ne me sens pas assez de philosophie pour commenter dignement ce grave symptôme.

Gustave Bertrand.

[1sic

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