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Courrier d’Ems

Le Figaro – Lundi 29 juillet 1867

Tandis que Paris remet à neuf ses vieilles féeries, nous assistons ici aux premières représentations de deux pièces inédites d’Offenbach. Rome n’est plus dans Rome. La villégiature crée des capitales pour l’aristocratie, les arts et les artistes. Les souverains lassés des merveil___, fatigués de fêtes officielles, viennent se reposer ici du tumulte parisien et y retrouvent une partie de ce qui les attirait la-bas, en y joignant le paysage que vous connaissez et que les bras du Rhin et de la Lahn s’unissent pour enserrer. La Permission de dix heures est un bijou musical fini, ciselé, charmant, qui attirera plus tard tous les dilettanti à l’Opéra-Comique. On y admire l’imprévu, le fantaisiste, du talent qui inspira l’auteur de la Duchesse de Gérolstein, avec la note harmonieuse de Fortunio.

Après la crânerie réellement mousquetaire de l’air : – Qu’on me donne un garçon, franc luron, – le morceau bouffe d’excellent aloi et de franc comique : – Je voudrais faire une connaissance, le ravissant duo : – Ah ! qu’il est bien ! renferme un sentiment plein de tendresse et de mélancolie. – L’air chanté par mademoiselle Lemoine est la perle rare de la partition, sans oublier le duo plein de brio et d’entrain : – La permission de dix heures est une bonne invention ; enfin le quatuor, dont l’accompagnement est un bruit de baisers, a complètement enlevé l’auditoire qui, pour écouter encore, aurait volontiers souhaité la permission de minuit ; le succès a été grand, incontestable, et prouvé par la seconde épreuve qui a obtenu au moins autant d’applaudissements que la première. La seconde pièce : la Leçon de chant, est une réjouissante pochade à deux personnages : un maître italien, dont la méthode électro-magnétique fait un grand artiste d’un butor, et un paysan fin matois, qui se gausse d’abord du professeur, puis finit par le suivre en Italie, attiré par la perspective de gagner cent mille francs par an. Une saltarelle bien réussie et une ronde villageoise ont été bissées frénétiquement. Cette saynète fera le pendant des Deux Aveugles, qui ont fait tant rire et qui amuseront si longtemps encore.

S. M. le roi de Prusse ne manque aucune soirée théâtrale, il applaudit franchement, il comprend et aime tout ce que notre langue française permet d’imprévu, tout ce que notre musique fantaisiste peut produire. Cette année les concerts, au lieu de succéder à l’opéra et au vaudeville, marchent simultanément. Les meilleurs artistes se succèdent à Ems. Je me contenterai de vous les nommer, car certains noms renferment tout un éloge. Nous avons entendu déjà Sivori, les deux frères Wieniawski, M. et madame Jaël, Giovanni di Dio, Batta, mesdemoiselles Harris et Schrœder, Wilhelmy, Godefroid, madame Escudier Kastner.

Nous attendons Tamberlick, mademoiselle Nilsson, madame Van den Heurel-Duprez, M. de Bério, M. Léonard, premier ténor à Saint-Pétersbourg, les frères Lionnet. Et je ne vous parle ici que des solennités musicales, en négligeant les concerts bizarres et charmants des Tyroliens, les ensembles choraux si majestueux et si parfaits des orphéonistes de Cologne, les auditions pendant la journée de la musique royale de Coblentz. Mêlez à ces plaisirs le mouvement des revues qui sont souvent passées le matin à Ems, les courses, les régates, et vous parviendrez peut-être à vous faire une idée de la vie d’enchantements successifs que nous menons ici.

Sa Hautesse le sultan était attendu à Ems. Mais le roi de Prusse ayant voulu donner à son hôte la plaisir de passer une grande revue, Abdul-Aziz a été reçu à Coblentz. On avait préparé pour lui le palais de la place Royale. Ce jour-là, toute la société d’Ems avait émigré pour la vieille capitale de l’émigration française.

Au nombre des étrangers en ce moment ici, nous comptons le roi de Prusse, le prince Georges de Prusse, le prince Wladimir, le prince Dolgorouki, le prince Couza, la princesse de Liéven, le prince Soltikoff, le prince et la princesse Callimaki, le comte Scariatine, le comte Gagarine, la comtesse Caudine, le comte de Lynar, le marquis de Moncalm, le baron de Trenk, le baron de Staël-Holstein, le baron de Gourtenay, etc. etc.

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