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La Soirée Théâtrale

Le Figaro – Samedi 14 novembre 1874

Soirée calme. On se recueille, on respire. Mais le froid aidant, on fait de bonnes recettes partout et surtout dans les théâtres à succès, où il est impossible de trouver la moindre place.
Aux Bouffes, par exemple, il y a une salle charmante. On s’amuse beaucoup. Plusieurs spectateurs de l’orchestre déjà venus trois ou quatre fois ; ils fredonnent les airs qu’on chante sur la scène, ce qui agace prodigieusement les voisins venus pour écouter la partition tout à leur aise. Dans les couloirs, le refrain du petit bonhomme fait rage : c’est un vrai succès.
Parmi les spectateurs qu’on revoit le plus souvent, aux fauteuils, on m’en signale un qui, régulièrement, au moment où les ministres de l’archiduc rendent leurs portefeuilles, donne des dignes non équivoques d’aliénation mentale. Il se lève, gesticule et paraît prêt à bondir sur la scène. Justement ce personnage étrange est là ce soir. L’ouvreuse me le montre. O surprise ! je reconnais M. Jules Simon !
Jules Simon guette, paraît-il, les portefeuilles de Madame l’Archiduc comme s’ils pouvaient lui servir à quelque chose. À force de revenir au théâtre du passage Choiseul, l’austère auteur de l’Ouvrière s’est mis à raffoler de la musique d’Offenbach. Il ne cesse pas de chanter les refrains populaires du maëstro. Comme homme, cela le rend plus gai ; mais cela pourra nuire à son prestige d’aspirant-ministre.

L’amoureux Habay va bien dans le quatuor des baisers. Il embrasse Judic avec une de ces ardeurs…
Ah ! je vous garantis qu’il gagne bien ses feux, celui-là.
On me raconte qu’aux répétitions, le jeune chanteur avait demandé à Millaud quelques couplets de plus dans son rôle.
– Je le veux bien, lui avait répondu Millaud, mais pour chaque couplet que je vous ferai je vous supprime un baiser du quatuor.
Habay a préféré garder les baisers.
À la bonne heure !

À la Gaîté aussi, les dernières représentations d’Orphée, – mercredi on fera relâche pour la Haine, qui passera quatre ou cinq jours après, – les dernières d’Orphée, dis-je, ont attiré énormément de monde. Christian, forcé d’aller répéter aux Variétés, a été remplacé ce soir par Courcelles. Jupiter a quitté à regret les splendeurs de son Olympe. Songez donc qu’il a tonné 278 fois de suite ! Christian improvisait bien cinquante calembourgs par soirée, soit – en tout – 13,900 calembours ! il est vrai que cela lui a rapporté plus d’un sou ! (…)
Et, à propos d’éléphant, un de mes amis qui a longtemps habité l’Amérique, me racontait précisément tout à l’heure ce qui s’est passé à New-York lors des représentations des Géorgiennes d’Offenbach.
Le théâtre de New-York avait emprunté, pour figurer dans l’opérette, un éléphant au Central-Park, le jardin zoologique de la ville.
C’était un éléphant admirablement dressé qui semblait éprouver un bonheur véritable à paraître en scène. La musique le charmait, l’éclat des costumes qui l’entouraient le rendait fou de joie et quand Mlle Aimée montait dans la petite pagode qu’il portait sur le dos, l’intelligent animal faisait décrire à sa trompe des courbes et des cercles qui traduisaient sa satisfaction, tandis que ses petits yeux noirs scintillaient de plaisir.
Mais voilà qu’au bout d’une centaine de représentations, les Géorgiennes quittent l’affiche. À la bouffonnerie d’Offenbach succède un drame bien noir : le Lac de Glenaston. (…)
UN MONSIEUR DE L’ORCHESTRE.

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