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La musique de La Périchole

Revue et gazette musicale de Paris – 27 décembre 1868

Comme tout le monde, nous avons été voir la Périchole, rire de cette pièce amusante et du jeu de ses désopilants interprètes ; comme tous, nous avons remarqué dès le premier soir la musique élégante, alerte et facile que le maître du genre, il maestro Offenbach, a semée avec sa verve habituelle depuis l’ouverture jusqu’au dernier finale ; comme presque tous, séduit par la première audition, nous sommes retourné voir cette spirituelle bouffonnerie qui, sans en avoir l’air, touche parfois, comme la Grande-Duchesse, à certains travers de notre société, et la musique, réentendue une seconde fois, nous parut alors mériter une étude spéciale de ses moyens et de ses effets, pour en apprécier plus complètement la valeur réelle et le caractère tout particulier.

La partition étant parue, nous la prîmes donc aussitôt en mains, et c’est avec un vrai plaisir que la lecture succédant à l’audition, l’analyse expliquant la sensation, nous pûmes fixer notre jugement sur la manière générale d’Offenbach, et spécialement sur la musique de la Périchole.

C’est une œuvre charmante, dans ce qu’elle est. Inutile de lui demander plus qu’elle ne donne, plus qu’elle ne doit donner. L’épopée n’a rien à démêler avec le madrigal et le poëme épique n’empêche pas le conte en vers d’être une agréable et délicieuse chose. Laissons donc pour aujourd’hui dormir en paix le grand genre, et de même que nous lirions un chapitre de Vert-Vert ou du Lutrin vivant, effeuillons ensemble cette gentille partition de la Périrchole qui personnifie vraiment la poésie légère en musique, et qui peut en toute justice valoir à son humoristique auteur le surnom de Gresset musical.

Savez-vous que ce genre-là n’est pas si facile à traiter que cela pourrait le paraître tout d’abord ? On peut bien avoir quelques idées mélodiques dans le genre bouffe, mais on tombe alors si rapidement dans le trivial, dans le vulgaire, dans la chanson de carrefour ! Avec Offenbach il n’y a rien de cela à craindre. Sa phrase conserve une saveur native qui annonce son parfait musicien ; ses harmonies sont fines et élégantes, et il sait greffer avec un tact que lui seul possède la corde sentimentale sur le canevas comique. Nous citerons dans ce dernier ordre la déclaration de la Grande-Duchesse et la lettre de la Périchole. Impossible de rencontrer des mélodies plus fraîches et plus senties. C’est le parfum de la rose s’unissant à la simplicité de l’églantine ; c’est pur, c’est délicat, c’est charmant. On ne sait s’il faut s’attendrir ou continuer à plaisanter ; dans tous les cas, on s’amuse, et c’est là l’essentiel. La musique amusante ! Offenbach en est bien le créateur et le public lui en a conféré le brevet. D’autres y ont par hasard réussi ; combien, hélas ! y ont échoué.

C’est du reste là qu’il est parfaitement dans son centre ; il trouve alors de ces effets comiques dont il garde la clef et auxquels personne n’aurait pensé, pas même ses collaborateurs. Ses grands finales bouffes naissent dans sa tête sans que rien puisse les faire pressentir. Les librettistes écrivent une scène bien coupée, bien conduite ; le compositeur se met à l’œuvre et c’est tout autre chose qui sort de sa plume. Un seul vers, un seul mot quelquefois lui font trouver un effet, un morceau tout entier où la partie musicale vient jouer son rôle et prendre le haut du pavé. Il surgit alors de ces cocasseries qui savent arracher le rire aux plus flegmes et font pâmer les esprits joyeux. Il y a de tout là dedans : de la charge italienne, de la gasconnade, de la farce gauloise. C’est du Rabelais en musique ; la note sautille, les instruments jacassent, les accords jouent à saute-mouton tandis que les syllabes jouent à cache-cache ; la joie déborde et les fronts les plus académiques sont déridés. Le plus remarquable, c’est qu’au milieu de toutes ces folies régnent une sûreté de touche, une entente de la scène, un respect de la forme qui classent les œuvres d’Offenbach dans le répertoire véritablement artistique. Nous sommes de ceux auxquels répugnent les bas-fonds de l’art, sans nommer rien ni personne. En suivant Offenbach, si loin qu’il aille dans le domaine du caprice et de l’excentricité, on est toujours sûr de rester en bonne compagnie et de n’avoir pas les oreilles souillées ; mieux que cela, on est certain d’avoir entendu de bonne musique, et très-souvent de pouvoir enregistrer des inspirations de premier ordre.

Maintenant passons aux détails.

L’ouverture s’annonce gaiement et nous fait connaître de suite deux des principaux motifs de l’ouvrage : le refrain de l’Espagnol et la lettre de la Périchole ; nous en reparlerons à leur place. Un chœur de fête ouvre brillamment le premier acte, mais l’attention se porte davantage sur la chanson des trois cousines. Ce morceau en forme de valse est agencé d’une façon charmante, et la phrase où le chœur répond : Versez, à nous versez, est d’une fraîcheur sans égale. C’est un vrai chœur d’opéra-comique. Les couplets du vice-roi qui viennent ensuite sont d’un sentiment bouffe de bon aloi, et sur ces paroles :

Je vais, je viens, je me faufile
Incognito,

se pose un refrain traité fort spirituellement. J’aime moins, par tempérament, la complainte de l’Espagnol et de la jeune Indienne. Cependant je dois avouer qu’elle porte bien le cachet d’une chanson des rues. C’était ce qu’il fallait et le compositeur a rencontré juste. Encore ici un refrain qui deviendra populaire :

Il grandira, car il est Espagnol.

En disant qu’il deviendra populaire je ne suis guère sorcier ; ne l’est-il pas déjà ?

Voici la lettre de la Périchole. En même temps qu’une perle de mélodie, c’est un petit bijou de sentiment, d’originalité, de diction et d’exquise finesse. Il est vrai de dire que Mlle Schneider détaille cela à ravir. La pauvre Périchole explique à son amant que, bien que folle de lui, il faut se séparer. L’amour est un grand maître, mais la faim est une mauvaise conseillère, et sur des paroles inspirées de la Manon de l’abbé Prévost, se pose une phrase musicale d’une simplicité adorable. C’est fait de rien, mais d’un rien d’or. Tout le monde chantera cette bluette, et chacun y trouvera son compte, amateurs et artistes, par le charme qui s’adresse à tous et par la valeur intrinsèque d’une inspiration vraie.

Nous arrivons au grand finale du premier acte, et nous allons rencontrer bon nombre de ces surprises dont je parlais tout à l’heure. Un chœur et le duetto des notaires préparent fort bien la cérémonie funambulesque de ce mariage en goguette. Attention ! voici la fiancée. Elle marche légèrement de biais et dit tout bas :

Je suis un peu grise.
Faut pas qu’on le dise.
Chut !... faut pas.

La musique se prête avec une grande finesse à cette confidence naïve ! Voici maintenant le marié :

Ah ! les autres étaient bien gris,
Mais il l’est tant celui-là, gris,
Qu’à lui tout seul, il est plus gris
Que tous les autres n’étaient gris.

La partie musicale relève encore la drôlerie de ce refrain, puis un point d’orgue impossible, comme Offenbach sait les trouver et Dupuis les chanter, amène un charmant petit duo entre les deux époux ; après quoi, la cérémonie se termine au milieu d’un chœur à tout casser sur un galop identique à celui de la Belle Hélène, et dans lequel passe un charmant épisode scénique. C’est la formule légale du mariage mise en musique ; c’est vraiment drôle. Enfin, l’acte s’achève sur le retour de la phrase ; Il grandira, car il est Espagnol, et l’on se demande comment tant de choses folles et jolies ont pu se trouver si bien et si rapidement accouplées.

Une valse faite de plusieurs fragments déjà entendus ou qu’on entendra bientôt sert d’entr’acte ; puis le rideau se lève sur le chœur des dames de la cour, en si bémol mineur, un véritable petit morceau d’artiste, une romance sans paroles de Mendelssohn ; vous voyez qu’il y en a pour tous les goûts. Les couplets des cancans qui viennent ensuite sont aussi d’une couleur fort distinguée. Mais changeons de point de vue. Le chœur des seigneurs, imité de la Favorite, présente de curieuses modulations, tout en rappelant la phrase de Donizetti. Les couplets : Les femmes il n’y a que ça, sont élégants et comiques ; ceux : Ah ! Que les hommes sont bêtes ! en font l’aimable contre-partie. Puis vient un très joli rondo de bravoure pour la présentation, le galop de l’arrestation : Sautez dessus ! une vraie folie ; enfin le morceau des maris récalcitrants, et là le comique arrive à son comble. La musique en est charmante ; elle est, du reste, fort curieusement coupée par une nouvelle imitation-charge de la Favorite, sur ces paroles : Dans son palais, ton roi t’appelle. Cette partie de l’ouvrage est des plus entraînantes, la mélodie en est franche, coulée d’un jet et l’agencement des plus heureux.

Dans la partition se présente ici un duo qui ne se dit pas aux Variétés. Il est cependant charmant, mais son cadre étant plutôt celui de l’opéra-comique, il pouvait paraître un peu froid aux spectateurs chauffés à blanc par le morceau précédent.

Ce qui reste maintenant est peu de chose. Citons pourtant le chœur qui précède le dîner du roi et une séguedille des plus alertes dite par Piquillo et la Périchole. Cette séguedille, dans les premières représentations, était chantée au premier acte sur de piquantes paroles de couleur tout à fait espagnole :

Vous a-t-on dit souvent :
Ecoutez-moi, la fille ?

Cette guitare en deux couplets, comme l’annoncent les acteurs, a le privilège de réveiller l’attention quand il semble qu’il n’y ait plus qu’à baisser le rideau. Il baisse cependant à minuit moins dix sur le refrain dominant de la pièce :

Il grandira, car il est Espagnol.

Avais-je raison de vanter l’habileté, l’adresse, la profusion du maestro Offenbach ? En comptant les choses charmantes de la Périchole, les passages d’une valeur incontestable qui s’y présentent, en appréciant la facilité de facture, la connaissance des effets que met en œuvre cet aimable musicien, on est forcé de reconnaître qu’il sait rendre intéressant le genre léger et que ses partitions ont plus de mérite que beaucoup d’autres plus ambitieuses et bien plus vides.

C’est ce qui explique, sans plus chercher, le succès qui s’attache à la plupart de ses œuvres et l’intérêt qui se développe à l’apparition de ses nouveaux ouvrages.

Paul Bernard.

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