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LES MENUS-PLAISIRS.
— GENEVIÈVE DE BRABANT —
Mais quittons nos théâtres impériaux, et laissez-moi, lecteurs, vous transporter boulevard de Strasbourg, au pimpant théâtre de M. Gaspari, les Menus-Plaisirs, que l’archet d’Offenbach vient de transformer en Bouffes-Parisiens. Depuis longtemps déjà, le maestro de Geneviève de Brabant préméditait de rendre à la scène une musique qui avait eu le tort, passage Choiseul, de succéder trop brusquement à celle d’Orphée aux enfers. Conserver tout ce qu’il y avait de bon dans l’ancienne partition, semer à pleines mains les scènes et les chansons les plus bouffonnes, cela a été pour Offenbach l’affaire d’un déjeuner. Il a convié Hector Crémieux à rajeunir le livret, de compagnie avec M. Étienne Tréfeu, et leur a livré sa musique nouvelle au courant de la plume. C’est le propre de la faconde d’Offenbach de ne rien arrêter et de n’être arrêté par rien. Il orchestre en causant de Bade ou de Nice, et trouve ses meilleurs motifs sans les chercher. Et c’est une profusion telle, que l’on se demande si une opérette bouffe de son crû finira jamais ! Il était une heure après minuit, jeudi dernier, que l’on bissait encore au théâtre des Menus-Plaisirs ; car ce maestro a l’art de créer des insatiables là où si souvent les autres ne rencontrent que des rassasiés.
Comme, d’un tour de main, M. Gaspari a fait une salle élégante, et sur la scène que de femmes, de riches costumes et décors ! C’était à se croire en plein théâtre du Châtelet. On ne pouvait s’attendre à un pareil déploiement de mise en scène. Et deux brillants orchestres, s’il vous plaît, l’un devant la rampe, sous l’intelligente conduite de M. Marius Boullard, l’autre sur la scène, à la mode italienne, tonnant de tous ses cuivres au fameux finale de la Palestine, que tous les artistes ont dû redire aux acclamations de la salle entière.
Nous n’entreprendrons pas de raconter ce qui est inénarrable. Ceux de nos lecteurs qui aiment la Grande Duchesse, la Belle-Hélène, n’ont qu’à retenir leurs places à la nouvelle Geneviève de Brabant. Ils y trouveront, de plus, des morceaux que les meilleurs musiciens ne désavoueraient pas. Tels sont la sérénade et les couplets du Page, le Terzetto de la main et de la barbe, le finale de la Palestine, et la ravissante fanfare à quatre voix, que l’on a redemandée à une heure du matin. — Voilà pour les gourmets.
Quant aux amateurs de la chanson et de la charge proprement dites, ils sont servis avec une telle profusion, nous le répétons, que l’indigestion seule est à craindre. Très-heureusement les auteurs ont prévu le cas en faisant suivre leur chanson du Pâté de celle du Thé. Et il était temps, après les couplets de Cocorico, après ceux de la Tocque, que sais-je encore ? Il y a aussi les couplets de la Biche, ceux de la Mèche de Cheveux, la chanson de l’Ermite, des tyroliennes, des airs de ballet, et, pour finir, la complainte de Golo.
Mais ce qui fera époque dans cette macédoine d’airs populaires, c’est le tableau tout entier des deux hommes d’armes,— un digne pendant à celui des deux Aveugles, du même auteur. Tous nos salons voudront se-donner les deux Gendarmes de Geneviève de Brabant. Impossible d’en retrouver de pareils sur la surface du globe. Leurs noms ? Ma foi, ignorés hier, ils seront dans toutes les bouches demain : Ginet et Gabel. Un nom déjà aimé, qui a singulièrement grandi jeudi dernier, aux Menus-Plaisirs, c’est celui de Zulma-Bouffar. C’est aujourd’hui la reine du genre ; elle porte le travesti à ravir et chante tout avec une décence, une distinction que rehausse un vrai talent de musicienne. A elle seule, Zulma-Bouffar accompagnée des deux gendarmes, décideraient du succès de la nouvelle Geneviève de Brabant, si Mmes Baudier, Collas et Brigny-Varney, n’en pouvaient légigitimement [1] réclamer leur part. Mme Varney est une petite Girard, jolie et piquante, tout à fait réussie.
Pour les hommes, citons à l’ordre du jour Gourdon, le splendide Siffroi des Menus-Plaisirs. C’est là un parfait comique, chez lequel aussi la distinction sauve les situations les plus délicates. Témoin celle de la tasse de thé. Le tyrolien et les tyroliennes, Martens et Bataglini, ont été bissés, et dans le ballet, la brune Mlle Bataglini fort goûtée.
Bref, succès sur toute la ligne, aux applaudissements du public, qui suit partout le maestro Offenbach. Foule de notabilités de tous genres, et, pour n’en citer que trois, nommons Mme la duchesse de Morny, le baron de Rothschild et Mlle Augustine Brohan.
H. MORENO.