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Théâtres

Le Figaro – Jeudi 16 février 1860

(…)

La parodie jouée aux Bouffes-Parisiens, ayant pour titre le Carnaval des Revues, est taillée sur l’invariable patron de ces sortes de pots-pourris dramatiques. C’est, comme toujours, un défilé de scènes décousues, de satires dialoguées, de coqs-à-l’âne, de caricatures plus ou moins amusantes : cela se regarde parfois avec plaisir et ne s’analyse point.

MM. Grangé et Gillet ont donné toutefois plus de développement à la musique et à la danse ; c’est en cela, mais en cela uniquement, que leur Revue diffère de ses sœurs aînées, auxquelles elle dit sans ménagement des vérités un peu fortes, dont elle aurait bien dû faire son profit. Le prologue du souper des Revues à la Maison d’Or est assez amusant. Mais que de longueurs inutiles dans les quatre tableaux qui suivent ce prologue ! Il est urgent de faire disparaître presque en totalité les scènes du bois de Boulogne et les chinoiseries si rebattues et si froides, qui n’ont pour tout mérite que de justifier l’intercalation du finale de Ba-ta-clan. Les suppressions que j’indique ont été pratiquées sans doute le lendemain de la première représentation ; mais elles pouvaient avoir lieu la veille. Il est impossible qu’on n’ait pas été frappé, à la répétition générale, des longueurs et des langueurs de ce premier acte. Il faut qu’un auteur sache prendre son parti sur-le-champ et sans marchander avec sa vanité une capitulation honorable ; car les premières impressions du spectateur sont de celles qui se gravent dans sa mémoire et sur lesquelles il ne revient jamais, eût-on tenu compte ensuite de ses exigences et de sa mauvaise humeur.

Le deuxième acte du Carnaval des Revues est incomparablement plus vif, et quand on en aura biffé le tableau de l’Exposition de peinture, il laissera peu de chose à désirer. La parodie des ouvrages dramatiques y est parfois amusante ; l’intermède chorégraphique rappelle l’Opéra regardé par le gros bout de la lorgnette ; mais le grand succès de cette deuxième partie de la revue appartient incontestablement à la spirituelle critique du représentant extra-allemand et extra-romantique de la Musique de l’avenir. Il faut voir le jeune acteur Bonnet conduisant ses symphonistes, se jetant dans les bras du chef d’orchestre Varney et exécutant sa grande tyrolienne. Si la parodie, comme autrefois le ridicule, avait le pouvoir de tuer en France, Richard Wagner serait un homme mort à l’heure qu’il est.

J’ai dit plus haut que la musique était le personnage envahissant de cette revue ; on ne songera pas à s’en plaindre, bien que le compositeur, laissant pour cette fois reposer son imagination, n’ait mis en relief que son remarquable talent d’arrangeur. Il a eu l’idée, assurément très heureuse, de convoquer le ban et l’arrière-ban des motifs les plus jolis et les plus populaires qui ont fait le succès de toutes ses partitions ; de sorte que le spectateur assiste au défilé complet du répertoire des Bouffes-Parisiens (répertoire de Jacques Offenbach, s’entend). Par ma foi, ceux qui aiment à se griser avec de la mélodie facile, ont dû tituber à l’issue de la représentation et se coucher ivres morts.

Mais le compositeur-directeur ne s’éloignera pas ainsi en emportant mon compliment. Je lui dois une critique, il l’aura, il l’empochera, sans que je lui laisse le dédommagement de la partager avec ses deux collaborateurs. Qu’il vienne dire au public, après un résultat qui a déçu les espérances du théâtre : « J’ai cru au succès de Geneviève de Brabant, je reconnais que je me suis trompé ; » l’aveu est d’un homme d’esprit. Mais que voulant tirer presque aussitôt sa vanité du jeu, le compositeur immole son collaborateur sur un de ses plus jolis airs : cela peut sembler amusant au public, cela peut se chanter au besoin ; mais cela ne doit pas se dire. Maintenant, mon cher musicien, sans rancune.

Tout le personnel des Bouffes-Parisiens figure dans le Carnaval des Revues. Toutefois les bons rôles y sont en petit nombre. Léonce n’a pas été heureux dans son personnage de mari à la longue-vue  ; mais il peut se consoler ; l’échec sera mis ici sur le compte des auteurs. Mademoiselle Tautin, infatigable et charmante, soit qu’elle chante, soit qu’elle joue, remplit je ne sais combien de rôles et ne laisse à désirer dans aucun. On a dit à Mademoiselle Mareschal et à mademoiselle Rose Deschamps : Soyez jolies et tout ira bien ! La chose a l’air d’amuser beaucoup mademoiselle Deschamps et d’ennuyer fort mademoiselle Mareschal.

Le grand succès de la soirée a été pour M. Bonnet, le dernier venu à ce petit théâtre. M. Bonnet chante avec esprit et joue avec originalité. Il sait s’arrêter à une certaine limite dans la charge sans affaiblir l’effet qui en doit résulter. La qualité dominante de sa gaîté est la distinction ; voilà sans doute ce qui, le premier soir, aurait si fort effarouché Désiré et l’aura obligé à quitter la scène et à manquer au public, pendant l’exécution de la Tyrolienne de l’Avenir. Désiré se sera dit : « Si les comiques spirituels réussissent à ce théâtre, que vont devenir les paillasses ? » (…)

B. JOUVIN

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