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Théâtres

Le Figaro – Vendredi 8 novembre 1867

On a beaucoup remarqué, dans la Grande-Duchesse, la façon toute particulière dont le pauvre Couder répétait ces deux mots :

– Mauvais soldat !…

Et hien ! ces deux mots ont une légende. Cette expression, déjà assez comique par elle-même, acquiert encore une valeur quand on en connaît l’origine.

Voici ce que nous raconte à ce sujet M. Allan qui tient de Couder lui-même ce détail intime :

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Avant d’être un acteur de talent, Couder avait mangé de la vache enragée. De simple pioupiou dans l’intendance militaire, il était devenu caporal et suivait le cours d’un vieux capitaine pour pouvoir passer ses examens d’adjudant d’administration.

Mais, au lieu d’écouter avec attention les leçons du maître, le futur Agamemnon se livrait à mille singeries dignes d’un gamin de sixième ; il griffonnait sur son cahier de devoirs, faisait un pied de nez à son professeur, provoquait l’hilarité de ses camarades, au point que le vieil officier l’avait pris en grippe et lui répétait sans cesse, sur un ton inimitable pour tout autre que pour Couder, son fameux :

– Mauvais soldat !…

Son temps de service étant expiré, il alla trouver son capitaine pour lui demander avis.

Celui-ci répondit

– Vous ne serez jamais bon à rien. Vous êtes un détestable caporal, et vous ne serez jamais sergent. Quittez l’administration et allez vous faire pendre ailleurs. Mauvais soldat ! mauvais soldat !…

Couder suivit ce conseil.

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Trois ans après, il jouait je ne sais plus quoi aux Délassements Comiques, lorsqu’il aperçut, se prélassant sur un fauteuil d’orchestre, son incorruptible capitaine. Il créé aussitôt un petit dialogue qu’il intercale habilement dans la pièce et, au grand émoi du souffleur, s’écrie, à un moment donné :

– Mauvais soldat ! mauvais caporal, vous ne serez jamais sergent !

Meilhac était en ce moment dans la salle. À la fin de la représentation, il demande à Couder pourquoi il avait ainsi modifié une scène. Celui-ci lui raconta son histoire et Meilhac n’eut garde de l’oublier, non plus que l’effet produit par l’inimitable accent du comique.

Jules Prével.

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