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La vie d’Offenbach

Le Figaro – Mercredi 6 octobre 1880

Depuis l’année 1842, date de son arrivée à Paris, il a pour ainsi dire vécu d’une vie publique et les journaux n’ont cessé de citer les moindres traits de cette personnalité, de cette physionomie, qui restera toujours liée à l’histoire de l’esprit parisien pendant une période de plus de trente ans. Résumons cependant, autant que possible, cette vie si pleine d’activité et de travail.

Jacques Offenbach est né à Cologne en 1819. C’est en 1842 qu’il vint à Paris, n’ayant pour toute fortune que son talent hors ligne de violoncelliste dont il avait conscience évidemment, mais qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de produire. Son caractère gai, son esprit essentiellement parisien, lui conquirent bien vite des amitiés dans le monde des journalistes et de grandes sympathies parmi les artistes.

Cependant, ne sachant trop à quelle décision s’arrêter pour arriver à faire parler de lui et à gagner un peu d’argent, il se décida à donner des concerts dans les salons. Ces débuts lui procurèrent quelques déceptions, mais son courage s’accrut à la suite de ses mécomptes, et dès qu’il avait connaissance de l’organisation d’un concert, on le rencontrait avec sa basse, toujours prêt à faire sa partie. On l’acceptait volontiers, mais on le payait peu ; ce n’était guère l’affaire d’un jeune homme comme lui.

Voulant se mettre à l’abri des incertitudes de l’existence et s’abstenir d’aller à la conquête d’un cachet, par des démarches souvent froissantes pour son amour-propre d’artiste, Offenbach entra dans l’orchestre de l’Opéra-Comique, à la suite d’un concours.

Il y fut admis aux appointements de 80 fr. par mois.

Cependant le nom d’Offenbach commençait à se répandre parmi le monde des théâtres. Le jeune violoncelliste ne cessait de travailler à des compositions dont l’exécution, il est vrai, n’avait pas de dates assignées, mais il espérait bien que tôt ou tard, ses travaux ne seraient pas inutiles.

Il avait fait la musique d’un vaudeville intitulé Pascal et Chambord, qui obtint un certain succès. Plus tard, en 1845, il fit représenter au théâtre de la Tour-d’Auvergne un opéra-comique qui passe pour sa première pièce : l’Alcôve. Ses concerts, ses chansonnettes, ses mélodies, commençaient à faire connaître le jeune musicien, lorsque, en 1847, il fut appelé à prendre le bâton de chef d’orchestre au Théâtre-Français.

La maison de Molière ne prêtait guère aux inspirations musicales du nouveau chef d’orchestre ; mais, avec sa verve endiablée et l’immense désir d’arriver, Offenbach essaya plusieurs de ses productions, si bien qu’un jour Alfred de Musset ayant à faire chanter des couplets dans le Chandelier, qu’on répétait, le pria de les mettre en musique ; ce fut ainsi qu’il composa la Chanson de Fortunio, mélodie délicieuse qui plus tard donna lieu au charmant opéra-comique que tout le monde a vu jouer.

Quelque temps après, la Révolution de 1848 était arrivée, Offenbach eut des loisirs forcés. Il les employa à travailler. Sept années s’écoulèrent dans un labeur constant, car malgré les refus qu’il avait éprouvés de la part des directeurs de théâtre de chant, il n’éprouva jamais aucun découragement, tant il avait foi en lui.

Il imagina alors de se faire jouer dans son propre théâtre, et pour y parvenir il s’empara de la salle Lacaze, située aux Champs-Elysées, à la porte du Palais de l’Industrie et qui justement était à louer. Il fit construire le théâtre des Bouffes-Parisiens et le 5 mai 1855, la première représentation y fut donnée. Les Deux Aveugles étaient la pièce d’ouverture.

Depuis cette époque il a produit un nombre considérable de pièces, la nomenclature en est trop connue pour être reproduite ici.

A la centième représentation de la Fille du Tambour-Major, sa dernière pièce, il porta le toast suivant :

– Je bois à la centième du Tambour-Major et en même temps à ma centième pièce.

Il y a quelques années, Offenbach avait pris la direction du théâtre de la Gaîté. Il y fit représenter des œuvres de nos auteurs les plus en vogue, notamment le Gascon, de Théodore Barrière et de Poupart-Davyl ; la Jeanne d’Arc de Jules Barbier et de Gounod, la Haine, de Sardou, etc.

Cependant, malgré tous les soins qu’il sut donner à son théâtre comme metteur en scène, son zèle ne fut pas couronné de succès, et une grande partie de sa fortune, si laborieusement acquise, subit de graves atteintes. Mais empressons-nous de le dire, Offenbach n’était pas d’un caractère à accepter les situations fausses ; il n’hésita pas devant les sacrifices à faire, et se tira honorablement des embarras que lui avait créés son passage au théâtre de la Gaîté.

Bientôt après il partir pour l’Amérique, où il alla donner des concerts ; c’était en 1876, il y passa près d’une année ; il en revint satisfait, et comme succès et comme argent. A son retour, il publia la relation de cette excursion sous le titre de : Notes d’un Musicien en voyage. Sa bonne humeur et son esprit ont fait le succès de ce livre, auquel notre collaborateur Albert Wolff a fait une préface des plus attrayantes.

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